29 février 2012

Qui était Romanin ?


Les faméliques de Montparnasse : 
« Lui, au moins, il a la veine de ressembler à Foujita ; il peut se faire inviter par les Américains… »


Le profond goût de Jean Moulin pour l’art est bien connu. De surcroît, il dessinait. Il était doté, comme le veut la formule qu’il a bien dû entendre, d’un joli coup de crayon. Bien que ce fût sa première vocation, c’est dans la très sérieuse carrière préfectorale qu’il s’engagea après son Droit, ce qui le conduisit dans des cabinets ministériels. Il devrait donc être qualifié d’amateur. 
N’empêche qu’il n’en fut pas moins à la fois artiste et haut fonctionnaire, usant plus tard de cette couverture pendant la Résistance sous le nom de Jacques Martel, artiste-peintre décorateur (« ce qui est le plus voyant demeure le plus invisible » répondit-il devant la stupéfaction de Daniel Cordier), ou en ouvrant à Nice la galerie Romanin.
http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=92:1942-1943-jean-moulin-rencontre-matisse-et-


Banquet démocratique : « Cest le buste de Platon, celui qui a fait “Le Banquet”. — Vous faites bien de men parler, je dirai quelques mots dans mon discours pour le féliciter. Son canard aux navets est vraiment réussi.  »

À première vue la proximité avec Chas Laborde s’impose, ou avec Jean Oberlé (future voix de Radio-Londres). Un dessin de son époque. L’ébullition de Montparnasse l’inspira. Vers 1925, il aurait rencontré Pascin dont l’univers féminin le touchait.
Dans Jean Moulin, Dessins et aquarelles publié en 2005 par les éditions de Paris-Max Chaleil, qui fait état de la collection du musée des beaux-arts de Béziers (sa ville de naissance), Jacques Lugand évoque Rabier, Hansi et Poulbot comme premières références, avant Sennep à l’époque où il publia dans Le Rire, vers 1930. 


Petit plaidoyer en faveur du suffrage universel, Candide (peut-être), 1928




27 février 2012

Egon ou Eugene Vitalis



Le 30 novembre 1939, au camp de Damigny, dans l’Orne, Bil Spira fit le portrait de Vitalis Biel (Egon ou Eugene Vitalis Biel-Bienne). Né à Vienne en 1902, contraint à l’exil, il réussit à rejoindre les États-Unis en 1942 (peut-être grâce à l’Emergency Rescue Committee) au terme d’une fuite particulièrement éprouvante. 
Ce Viennois est mort à Nashville en 1969.




autoportrait d’Eugene Vitalis Biel-Bienne

25 février 2012

Der Kleine Diktator



Au camp de Meslay-sur-Maine (Mayenne), comme précédemment dans les autres camps d’internement français, ou, aussitôt après la victoire allemande, dans les antichambres des camps nazis, Bil Spira côtoya de nombreux artistes dont il fit le portrait (parmi bien d’autres portraits et caricatures de compagnons ou de geôliers), comme son confrère Werner Saul, dit « Curry ».
Il transita aussi par Marseille, il figure bien sur la liste du Comité américain de secours (Emergency Rescue Committee). Je n’ai pas trouvé de traces ultérieures.
Curry avait publié Der Kleine Diktator dans Le Rire entre 1934 et 1939, une bande dessinée qui fait de toute évidence allusion au Little King d’Otto Soglow.





23 février 2012

Bil Spira



Joseph Roth meurt le 27 mai 1939, au bout du rouleau, rongé par l’alccol.
Moins de trois mois plus tard, à la déclaration de guerre, la plupart de ses amis persécutés par les nazis, mais coupables d’être ressortissants allemands (dont les Autrichiens depuis l’Anschluss), sont internés par les Français comme suspects d’intelligence avec l’ennemi, membres de la « la 5e colonne », comme Bil Spira et Stefan Fingal.

Stefan Fingal au camp de Damigny en 1939

Dans son livre, Bil Spira, de Vienne-la-Rouge aux camps d’internement français (Éditions Tirésias), l’historienne Claude Bessone, avec le concours de Jean-Marie Winkler, décrit le parcours de Spira que je vais résumer ici.
Autrichien, Viennois, Juif, social-démocrate, né en 1913, dessinateur pour l’Arbeiter Zeitung, particulièrement clairvoyant sur « le retour dans l’obscurantisme (qui) se double d’une nostalgie de la germanité idéalisée » écrit Jean-Marie Winkler, et dès 1932 « (Bil Spira) avait compris que le culte du chef, tel que le pratiquait Adolf Hitler, était susceptible d’attirer dans ses filets des ouvriers issus d’horizons politiques différents » (…) « électorat ouvrier déçu de la social-démocartie et désorienté à la suite de la crise économique ».

Arbeiter Zeitung du 20 août 1933

En 1934, l’Arbeiter Zeitung est interdit pas les austrofascistes de Dollfuss (l’autre cible privilégiée du journal et de Spira), chef de gouvernement autoritaire, nationaliste — et antinazi, qui fut bientôt assassiné par les nazis.
Spira émigre en France après l’Anschluss.
Il publie dans Le Rire.
En 1939 il est interné au stade Roland-Garros, dénommé « camp des indésirables », avant Damigny, Athis et Meslay-sur-Maine, il est libéré lors de l’exode de juin 1940, séjourne à Marseille où il fabrique des faux papiers pour Varian Fry, l’Américain qui aida tant de Juifs et d’antinazis à émigrer avec son Emergency Rescue Committee (Comité américain de secours). Arrêté sur dénonciation, il se retrouve au camp du Brébant près de Marseille, puis dans le plus terrible de tous, à Vernet-d’Ariège avant d’être déporté en Allemagne en septembre 1942, successivement dans les camps de travail de Laurahütte et de Blechshammer, et de survivre à la marche forcée lors de l’évacuation de Buchenwald en 1945.
Bil Spira s’installe définitivement en France où il meurt en 1999.


21 février 2012

De Vienne à Tournon


Le dessinateur Bil Spira, qui dut fuir l’Autriche après l’Anschluss, fréquenta le petit groupe d’exilés du Tournon (ou café de la Poste) autour de Joseph Roth, où madame Alazard servait des pernods à tire-larigot (ou bien du côte-du-rhône). 
Il en témoigne en 1947 dans le journal suédois Frehet, en compagnie de l’écrivain Stefan Fingal, l’indéfectible ami de Roth durant vingt ans. 




Au-dessus du Tournon, au 18 de la rue éponyme, à deux pas du palais du Luxembourg, une plaque signale que « le célècre écrivain autrichien Joseph Roth » y avait pris ses quartiers, précisément à l’hôtel de la Poste (alors dénommé), après que l’hôtel Foyot, de l’autre côté de la rue, où il avait résidé jusque-là, eut été détruit en 1937. 



Est-ce dû au hasard de la destinée si, en 1925, Joseph Roth consacra à Tournon, après Vienne (et avant Avignon), une de ses chroniques des Villes blanches ?  

« La ville, presque depuis son origine, a toujours été une capitale, une résidence pour les princes et les rois. Elle a appartenu à plusieurs nations, elle s’est transformée au cours du temps, mais aucun de ses maîtres n’a osé la ravaler jusqu’à en faire une ville de second ordre. Elle a toujours été jeune, fière, belle et vaste. Elle pouvait regarder l’avenir sans crainte, comme une déesse, sur laquelle le temps n’a pas prise. » 
Joseph Roth parle bien de Vienne (sous-préfecture de l’Isère) et non de Wien (capitale impériale de la défunte Autriche-Hongrie).
« Mais voilà que surgissent les murs d’une ville moyenâgeuse, romantique, presque allemande. C’est Tournon. » 



Délaissant le chemin de fer, Joseph Roth arriva à pied à Tournon (sous-préfecture de l’Ardèche). 
« D’un côté, les collines, de l’autre le fleuve. Pas de place pour respirer. Les maisons sont imbriquées les unes dans les autres, elles ne peuvent plus se dégager. Une ville entière est prisonnière. Elle est certes protégée de l’ennemi, mais à peu près comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à craindre de personne, parce qu’il serait enfermé pour la vie. Une ruelle se fraie à grand-peine un chemin. Ah, la voilà qui se heurte à un mur, se resserre, se comprime encore plus et tombe sur une sœur qui connaît le même sort ! Les ruelles sont comme des vers, elles se tortillent entre les maisons. Celles-ci se pressent contre le fleuve et risqueraient de s’y noyer, si le mur d’enceinte qui le surplombe ne les retenait.
Je vais à droite, à gauche, devant moi, je retourne sur mes pas. J’entends des gens parler et je vois leurs gestes, mais ils sont aussi loin de moi que si nous étions séparés par des cloisons de verre. Un enfant rit, mais ce n’est ni un rire ni un enfant de mon époque. Je peux, dans des pays étrangers, me sentir à l’aise, comme chez moi, mais cela m’est impossible dans une époque étrangère. Notre vraie patrie, c’est le présent. Nos contemporains sont nos compatriotes. »


Bil & Mina





18 février 2012

La patrie de Joseph Roth


« Toute déclaration en faveur du pays auquel — pour des raisons mystérieuses et donc impossibles à élucider — on donne le nom de  “patrie” doit — pour des raisons presque aussi indéfinissables — être précédée d’une sorte d’explication. Certes, jamais ni nulle part, il n’a encore fallu fournir d’excuse pour se déclarer en faveur de son pays d’origine. Mais aujourd’hui, voilà que, chez nous, on se voit obligé de dépouiller toute formule par laquelle on se reconnaît de ce pays, non seulement de l’emphase mensongère et de la rhétorique creuse dont on l’entoure depuis des décennies, mais aussi de la sanglante brutalité qui, également depuis des décennies, emprisonne et défigure le patriotisme, l’amour de la nation et la langue.
Car, si l’on a à déclarer son attachement à la patrie, cela ne peut se faire que sous une forme qui se distingue sans équivoque des formes usuelles de décalaration d’amour patriotique. Il y eut une époque, en Allemagne, où la silencieuse dignité du savant, la prudente timidité du poète, la raison du politicien et de l’homme d’État, tous les cœurs simples des individus privés avouaient et reconnaissaient, avec une naturelle évidence, leur amour de la patrie : dans leurs lettres, dans leurs œuvres et dans des circonstances de toutes sortes. Il n’existait pas de partis ayant le privilège du patriotisme et les professions de foi en faveur de la patrie n’étaient pas des appels au combat. De même que l’on considère qu’il ne peut y avoir de société vraiment humaine sans un sentiment de solidarité humaine, de même estimait-on alors qu’il ne pouvait y avoir d’opinion sans l’existence d’une sentiment national. Comme elles doivent être peu sûres ces nations où des partis entiers débattent, dix années durant — le temps de leur existence —, de leurs convictions nationales — ce qui est une évidence, et en aucune façon une preuve —, et non moins inlassablement de la façon de les exprimer. Le fait de se sentir chez soi au sein d’une nation est un sentiment élémentaire pour un citoyen européen, pas du tout une “conception du monde”, et encore moins un programme. Il serait donc tout simplement logique d’admettre que seuls sont sincèrement nationaux les partis qui, au lieu de faire étalage de sentiments national, considèrent que c’est là quelque chose qui va de soi. (…) »
Profession de foi en faveur de l’Allemagne, Frankfurter Zeitung, 27 septembre 1931


Rappelons que, à l’instar de Henri Heine, Joseph Roth se sent allemand par la langue, lui qui, natif de la Galicie austro-hongroise, Juif, Viennois, Parisien, exilé, désespéré, ne fut jamais Allemand de nationalité. La suite de son article est un éloge de la langue allemande.

17 février 2012

Job et son livre


J’ai lu et relu Job sous le titre Le Poids de la grâce, sans bien comprendre le pourquoi de ce titre que seule la deuxième traduction française avait adopté dans les années soixante.
Ce roman de Joseph Roth fut publié en 1930 à Berlin, et dès 1931 à Paris. Il vient d’être traduit pour la troisième fois, et son titre original a été rétabli. Qu’il soit lu, c’est une merveille.
Par ailleurs, dans les années vingt en Europe, Joseph Roth fut un chroniqueur itinérant pour plusieurs journaux allemands où il fit montre d’une rare clairvoyance.

« Aucun musée, aucune église ne saurait me dédommager du sinistre spectacle que m’offre, par exemple, la devanture d’une librairie dans une petite ville. L’on y trouve une telle abondance représentative de bêtise, de dilettantisme lyrique, d’art régionaliste et de fausses idylles, d’attachements verbeux à une glèbe de papier journal ou de carton, tout juste bonne à empaqueter un chapeau haut de forme, et totalement dépourvue de tout sentiment, graine ou semence ! De cette grisaille de sépulcre, répandue sur des millions de “camarades”, voilà que surgit, à la lumière du jour, une littérature d’écrivains-fantômes qui jouissent de gros tirages et se moquent des lois sur l’immortalité et la  pornographie parce qu’ils sont pour devise la “chasteté”, la “virilité” barbue, et ouvrent ainsi la voie à un autre grandiose sous le signe du Troisième Reich. Quelle énorme quantité de poison dans ces calices d’un bleu de violette ! De la face énergique du didacteur welche au regard noblement tourné vers le nord, et au menton qui fait songer à un casque d’acier renversé, à la figure d’un Adolf Hitler dont les grimaces ont devancé celle de ses électeurs, et où chaque partisan peut constater, comme dans un miroir, que tout est déjà là : les Dinter* et les Lauff**, la bête immonde et son âme, le doré sur tranche et le filet de sang. Que l’on mette la table ! Que le petit âne se couche ! Que l’on sorte les matraques ! (…) »
* Écrivain à succès qui fut député nazi.
** Écrivain régionaliste annobli par Guillaume II.

Lettre du Hartz, 14 décembre 1930, Frankfurter Zeitung (trad. Jean Ruffet, in Croquis de voyage, Seuil)



Le 8 octobre 1930, Roth écrit à Stephan Zweig, de l’hôtel Foyot, à Paris :
« (…) Le 13, je pars d’ici. J’entreprends un circuit des villes allemandes pour le compte de la Frankfurter Zeitung. Mon livre [Job] sortira après-demain. Je suppose que vous avez entre-temps reçu de ma maison d’édition une lettre importune vous demandant un compte rendu. J’espère que vous ne m’en voudrez pas. (…) »
Le 20 novembre, dans une lettre expédiée de Goslar*, toujours à Zweig avec lequel il tint une correspondance nourrie, il revient sur la fortune de Job :
« Puisse Dieu vous écouter et faire que vous ayez raison quand vous évoquez les chiffres de vente élevés de Job. Jusqu’à aujourd’hui, 8500 exemplaires ont été vendus, c’est beaucoup pour moi. Mais ce n’est pas assez au regard des problèmes financiers que connaît la maison d’édition Kiepenhauer. Ni Feuchtwanger ni Heinrich Mann ne se vendent bien. (…) »

* Ville de Basse-Saxe, au pied du massif du Harz.



15 février 2012

Bird's Eye View



Quand en 1976 Saul Steinberg dessina cette couverture du New Yorker, une des plus fameuses devenue un emblème, pensait-il au The New Yorker’s View of the United States de John T. McCutcheon ? Sa date ne m’est pas connue, probablement largement avant 1930*, alors que Steinberg n’avait sans doute pas encore envisagé d’émigrer — voire n’était même pas né (il quitta la Roumanie pour étudier l’architecture à Milan en 1933, puis, sous la menace des lois antisémites italiennes, gagna les États-Unis en 1941).
Qu’il connût ou non le dessin de McCutcheon, que ce fût une coïncidence ou un hommage (ou même un remake), ce serait une erreur de ne pas y reconnaître le génie chez Steinberg (il voit plus loin, géographiquement et plastiquement), sans considérer pour autant l’œuvre étonnante de McCutcheon (une meilleure résolution de l’image permettrait de mieux l’apprécier) seulement comme un « plagiat par anticipation ».

John T. McCutcheon

* Chicago Tribune, 1922 (thanks Sheila Schwartz, The Saul Steinberg Foundation, e-mail du 18 janvier 2017) 

Émettons un autre hypothèse, sans doute plus crédible : que McCutcheon et Steinberg aient puisé à la même source cartographique. N’ont-ils pas eu la même idée d’extrapoler à partir des cartes en bird’s eye view ?





Pour conclure, donnons la parole à Sempé (1962), de surcroît grand admirateur de Steinberg, également chantre de New York et sociétaire du New Yorker :






14 février 2012

Un économiste avisé pose une question



John T. Mc Cutcheon (1870-1949) obtint le prix Pulitzer en 1932 pour ce dessin, A Wise Economist Asks a Question, paru dans le Chicago Tribune auquel il collabora pendant plus de quarante ans.




13 février 2012

Keynes, Chaplin et la question de la dette



J. M. Keynes par Roger Fry



À Londres où, pour présenter Les Lumières de la ville, Charlie Chaplin se rendit début 1931 en compagnie de Ralph Barton, les deux amis furent invités chez Sir Philip Sassoon en compagnie de George Bernard Shaw et John Maynard Keynes, entre autres célébrités. Chaplin raconte dans ses mémoires qu’il bavarda avec Keynes :
« (…) je lui racontai que j’avais lu dans un magazine anglais comment fonctionnait le crédit à la banque d’Angleterre, qui était alors une entreprise privée : durant la guerre, paraît-il, la banque avait épuisé ses réserves d’or, et n’avait plus que quatre cents millions de livres sterling de valeurs étrangères ; quand le gouvernement avait demandé à la banque un prêt de cinq cents millions de livres, celle-ci s’était contenté de sortir ses valeurs étrangères, de les regarder, puis de les remettre dans ses coffres et elle avait accordé le prêt demandé par le gouvernement ; et cette transaction s’était répétée plusieurs fois. Keynes acquiesça et dit :
— C’est à peu près ce qui s’est passé.
— Mais, demandai-je poliment, comment ces prêts ont-ils été remboursés ?
— Avec la même monnaie fiduciaire, dit Keynes. »



dessin de William Steig pour le New Yorker, 1931

12 février 2012

Inversion des rôles


Si Ralph Barton filma et photographia son ami Charlie Chaplin sur le tournage des Lumières de la ville, ou dans d’autres circonstances plus ou moins loufoques (http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=4499126673120624220#editor/target=post;postID=7421862811415971437), comme en témoigne la danse des petits pains ci-dessus, en retour Chaplin dessina Barton — sans qu’on sache ce qu’il en est de la lâcheté du crime qu’il s’attribue dans sa dédicace. 



Serait-ce le crime de plagiat ? 

autoportrait, vers 1927


9 février 2012

Primo Levi

Primo Levi en 1938

En 1947, Primo Levi écrivait dans sa préface de Si c’est un homme : « Beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que “l'étranger, c’est l'ennemi”. Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager, c’est-à-dire le produit d’une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme. »

7 février 2012

L'Exposition universelle




« La personnalité de chaque peuple se révèle plus fortement par l’ordonnance intérieure des pavillons que par leur silhouette architecturale. Tout concourt à l’exprimer dans la disposition des lieux, leur décoration, la mise en valeur des objets exposés. Une atmosphère en émane qui s’impose à notre sensibilité. Et comment n’être pas frappé par ce que dégage le spectacle de l’immense vaisseau du pavillon allemand où règne l’ordre le plus méthodique aussi bien dans la distribution des éléments décoratifs : luminaires aux formes trapues, tableaux de mêmes dimensions et de même esthétique, tapisseries et mosaïques, que dans l’ordonnance de vitrines de même modèle qui, dès l’entrée, s’offrent à la curiosité du visiteur ? D’autres pavillons, tels celui de la Hollande ou de la Suède par exemple, vous accueillent avec une charmante simplicité. On les parcourt familièrement et, dans l’abondante clarté où ils baignent, on examine les objets et les documents exposés avec l’aimable et sympatique curiosité que l’on a pour la collection d’un ami. Le pavillon russe nous suggère une impression de fougue impatiente, un peu fébrile : celle d’un peuple qui fait le recensement des résultats acquis par un prodigieux effort de rénovation économique, cependant que l’Angleterre se montre toute sécurité, aise tranquille, confiance en soi, correction parfaite et que le modernisme italien est imprégné de la noble fierté et des impérieuses disciplines romaines. »

Louis Richard-Mounet, L’Illustration “Exposition 1937”, 14 août 1937



André Steiner, né en Hongrie en 1901, fuit les premières mesures antisémites promulguées par le régent Horthy (numerus clausus pour entrer à l’université) en venant  étudier à Vienne, avant de s’installer à Paris en 1928. Il est un tenant de la « Nouvelle vision ».  

5 février 2012

L'exposition coloniale

Je ne cherchais pas ces images. Mais le fait qu’elles surgissent précisément aujourd’hui prend un sens particulier, après certain propos venu du sommet de l’État.