28 juillet 2011

L'Émigrant


































Quoi qu’il fasse, il a tout faux

1. Il est assis devant le café de la Paix à Paris ; devant le Métropole à Bruxelles ; devant l’Esplanade à Lisbonne ; devant le café Wivex à Copenhague, toujours de la même manière.
2. Quand il boit « un petit noir », ils disent : « Et c’est avec une petite tasse de café comme celle-là qu’il occupe les meilleures places ! »
3. Quand il boit une bouteille de champagne, ils disent : « Mais regardez-moi ça ! Je comprends à présent qu’ils aient voulu s’en débarrasser. »
4. Quand il mange du Boenrenkool, ils disent : « Il s’adapte trop bien ! »
5. Quand il mange un pied de porc à la choucroute, il disent : « Il ne s’adaptera jamais ! »
6. Quand il ouvre lui-même un café, ils disent : « Il nous prend le pain de la bouche. »
7. Et quand il ne fait rien du tout, ils disent : « Regardez, il végète ! »
8. Quand il demande un visa pour l’Amérique, ils disent : « Voilà, il s’en va. Dès que cela devient dangereux ici, il se planque ! »
9. Et s’il ne demande pas de visa pur l’Amérique, ils disent : « Nous ne nous en débarrasserons jamais ! »
10. C’est « l’émigré ».






(Il manque les septième et huitième dessins de Jo Spier car il m’a été impossible de les scanner à partir de la source que j’ai à ma disposition, c’est-à-dire Pour Walter Benjamin édité à Francfort en 1992, à l’occasion du centenaire de sa naissance.)

26 juillet 2011

Nuit sur l’Allemagne

Toujours en Argentine, Clément Moreau produisit en 1937 cent sept linogravures d’après un texte d’Erich Mühsam : Nacht über Deutschland (Nuit sur l’Allemagne).




Dans son journal, à la date du 9 octobre 1933, Victor Klemperer écrit : « Gusti (sa sœur) parle aussi beaucoup de certains camps de concentration particulièrement terribles, des souffrances qu’on a imposées à Erich Mühsam, lui qui a maintenant soixante ans. Il avait été libéré quand on a trouvé un journal qu’il avait tenu en détention, et on l’a remis en prison. — Moi-même, on me met constamment en garde contre le fait de tenir un journal. Mais pour le moment, je ne suis pas suspecté. »
Et le 14 juillet 1934 : « Dans ma jeunesse bohème, le nom d’Erich Mühsam a joué un certain rôle. Je ne sais pas si je l’ai vu moi-même, si je lui ai parlé, ou si je le connais que par les nombreux récits d’Eva (la femme de Klemperer) et d’Erich Meyerhof, et aussi par le Simplicissimus. C’était un inoffensif bouffon de Munich-Schwabing et un brave bonhomme. Bien assez terrible que sa participation à la Räterepublik lui ait valu plusieurs années de prison. Voilà que dans le Freiheitskampf — on me l’envoie à des fins de réclame depuis plusieurs jours — je lis : « Le Juif Erich Mühsam, en détention préventive, s’est pendu dans sa cellule. »
Erich Mühsam fut assassiné par les SS en 1934 au camp d’Oranienburg-Sachsenhausen. Il avait collaboré au Simplicissimus dans les années 1906-07.


lien indispensable : 
http://www.clement-moreau.ch/downloads/Heft32.pdf

24 juillet 2011

Wer ist Clément Moreau ?


Quand j’évoquais l’idée d’un détour par Buenos Aires (épisode du 6 juillet, Un jour à New York), comme une des destinations possibles de ce voyage erratique dans les années plus-ou-moins-trente, je ne songeais pas à Clément Moreau car, si je le connaissais vaguement pour l’avoir croisé autrefois sans en avoir retenu le nom, je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter.
Clément Moreau est né Joseph K. Meffert (Carl Meffert) à Coblence en 1903. Il émigra en Suisse au début des années trente, dont il fut expulsé comme tant dautres exilés politiques, gagna alors l’Argentine en 1935 avant de retourner en Suisse en 1961 et y mourir en 1988.

Il choisit le nom de Clément Moreau lors de son exil clandestin en Suisse — Moreau comme le Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale, révolutionnaire de 1848 ? Clément comme Jean-Baptiste Clément de la Commune de Paris, auteur du Temps des cerises ? ou encore Clément Moreau comme Clément Marot, poursuivi pour hérésie et qui dut s’exiler ?
Il a aussi choisi de n’être d’aucune compromission.
C’est en Argentine qu’il publia un recueil de dessins « illustrant » Mein Kampf qui lui valut d’être poursuivi devant la justice par l’ambassade d’Allemagne. Il gagna son procès et perdit sa nationalité allemande.

















Un petit volume mal foutu mais bien utile était sorti en France en 1976, aux éditions Syros, avec une préface de Max Frisch. Mon père l’avait acheté. J’ai dû le regarder avec étonnement avant de le perdre de vue.




22 juillet 2011

L'angle et la courbe

Pendant que nous y sommes, profitons de cette occasion qui semble nous éloigner davantage encore des années plus-ou-moins-trente (alors que nous reculons seulement un peu pour remonter la filière) pour montrer deux couvertures du Simplicissimus de la main de Th. Th. Heine, la première du 19 novembre 1898 et la seconde du 2 octobre 1899, qui encadrent ses mésaventures carcérales.



Profitons aussi de ce bon prétexte pour se rappeler Bruno Paul qui fut le premier géant du Simplicissimus, qu’il quitta en 1906 pour se consacrer au design de meubles, à l’architecture et à l’enseignement.
Il fut révoqué en 1933 de la direction de la Vereinigten Staastsschulen für Freie und Angewandte Kunst de Berlin.



Puisque nous en sommes aux effets d’aubaine, rapprochons Bruno Paul du non moins gigantesque Lyonel Feininger (au-delà de leur face à face des premières années du siècle avec leurs couvertures du Simplicissimus pour l’un et du Lustige Blätter pour l’autre, ils se différencieront radicalement, l’un chantre de la courbe, l’autre des angles) qui choisit la peinture, la gravure, la photographie et l’enseignement au Bauhaus après avoir dessiné les plus belles pages de bandes dessinées qui soient entre 1906 et 1907.



Feininger naquit en 1871 à New York. La même année, Whistler fit le portrait de sa mère dans un « arrangement de gris et de noir ».
Mais arrêtons-nous là sinon le fil va casser pour de bon. Les machines à remonter dans le temps n’assurent pas toujours le retour avec toute la précision nécessaire.



20 juillet 2011

… et de mœurs en prison


En 1917, le père de Jean Vigo, l’anarchiste espagnol Eugène Bonaventure de Vigo, dit Almereyda, meurt dans une cellule de Fresnes, étranglé par un lacet…
Dans le Simplicissimus du 18 septembre 1917, Thomas Theodor Heine donne sa version des faits (n'oublions pas que nous sommes en temps de guerre).

19 juillet 2011

Quelques modèles d’évasions…


Imaginons que Boudu ait échappé au sauvetage de ce bon bourgeois de libraire (qui n’aurait ainsi jamais connu son infortune), qu’il ait dérivé jusqu’à croiser l’Atalante où deux jeunes mariés le recueillent peu en aval de Paris.

Dans La Grande illusion, Jean Renoir choisira Dita Parlo pour être Elsa, la femme allemande qui accueille Maréchal (Jean Gabin) lors de son évasion vers la Suisse.

18 juillet 2011

L’homme qui sourit


N’est-ce pas Giacometti, à gauche de l’image, allure d’ouvrier, clope au bec, les mains sur les genoux, le seul assis sur le parapet parmi la foule sur le pont qui retient son souffle, captivée par le spectacle du sauvetage ?
Soulagé, il brandit sa casquette en arborant un sourire magnifique (à 2mn56).

17 juillet 2011

Témoin d’un monde disparu



Roman Vishniac, se tirant le portrait ici en 1931 à Berlin où il vivait, pérégrina à partir de 1933 de shtetl en ghetto, de Hongrie en Lituanie, et bien sûr en cette Galicie orpheline de l’empire austro-hongrois (si on suit Joseph Roth). Voyant poindre la catastrophe, il accumula les clichés de ce monde qui allait disparaître, ce Yiddishland mythique, en dissimulant son appareil au regard de la police comme de la population (dont les méfiances n’étaient pas du même ordre).



Fin 1940, il réussit à rejoindre New York (où il mourut en 1990) sur le même bateau que Jean Renoir et Saint-Exupéry.

16 juillet 2011

Couverture berlinoise



Je m’adresse à la maison Gallimard, auguste maison de cent ans d’âge, et plus particulièrement à son sous-ensemble Folio (quarante ans l’année prochaine, mais moins bien conservée).
Certes, c’est moins vendeur, voire ringard, de mettre un dessin en couverture, même une œuvre de Grosz, mais quitte à choisir une photo pour Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, et éviter le contre-sens, alors celle-ci de Roman Vishniac aurait pu convenir.

15 juillet 2011

Bruit de bottes


Karl Arnold, Simplicissimus, 1932


Quand Karl Arnold sonorise ses dessins, n’est-ce pas pour s’inquiéter du bruit de bottes ?

14 juillet 2011

Remarques à propos du cinéma parlant, par Joseph Roth



Th. Th. Heine, Simplicissimus, 1930



« Le cinéma parlant ne renforce pas le moins du monde l’illusion que les ombres mobiles sont des êtres humains, mais convainc bien plutôt du fait qu’elles sont des ombres. La voix provient pour ainsi dire d’une autre dimension, laquelle est plus proche de nous autres, les spectateurs vivants. La voix humaine semble être une manifestation très corporelle, plus corporelle que le corps dont elle émane. La voix du chanteur dans la salle de concert recouvre, enveloppe, et même supplante parfois la présence physique du chanteur. L’être humain parlant est déjà à lui seul une existence corporelle double. Souvent, celui qui se taisait se métamorphose radicalement dès qu’il commence à parler. Ce que nous entendons de sa part transforme l’impression que nous avions de lui tant que nous nous contentions de le voir. La voix “nous touche de plus près”. Elle semble nous être plus immédiatement proche que le visage ou la main immobile. Oui, la voix est un contact corporel direct. Il ne sert pas à grand-chose que dans le cinéma parlant les mouvements des lèvres, des muscles du visage, des mains coïncident parfaitement avec les sons entendus. On pourrait même dire : plus l’articulation visible est exacte, plus nette est l’impression de voir une ombre articuler, plus grande est la distance entre l’immédiateté des sons entendus et la consistance ombreuse des mouvements simultanés.
La voix a certes été “captée” comme l’ont été les gestes de l’acteur vivant. Mais dans la mesure où la voix originale était déjà plus directe que le corps original, l’effet de la voix “captée” est d’autant plus immédiat. Elle bénéficie de la disposition dans laquelle nous sommes habituellement de nous “représenter” le locuteur (le chanteur) à peine nous entendons sa voix (au téléphone ou par le biais du Gramophone) ; de presque voir l’éclair à peine nous entendons le tonnerre ; de cette aptitude naturelle donc, en fonction de laquelle l’ouïe déclenche la “faculté de représentation” visuelle, plus fort et plus vite que n’importe quel autre sens.
Dans le cinéma parlant, la voix semble par conséquent plus proche que la photographie, que la photographie animée. Elle remplit tout l’espace, touche physiquement chacun des spectateurs, parvient de manière presque uniforme à chaque endroit de la salle. L’image reste enchaînée à l’écran, emprisonnée dans sa bidimentionnalité. Quand la voix faisait encore défaut à l’image, quand seule la musique accompagnait encore ses mouvements, le dynamisme de l’image stimulait tant notre “faculté de représentation” que nous ajoutions de nous-mêmes la troisième dimension manquante à l’ombre, que nous “la concevions par la pensée”. Désormais, ce n’est pas la voix qui semble accompagner le mouvement, mais, au contraire, c’est le mouvement des ombres qui semble accompagner les modulations de la voix. Et c’est seulement maintenant que nous avons le cinéma parlant que nous savons combien le cinéma doit à la musique d’accompagnement. Non seulement elle rend la voix superflue, mais (de concert avec notre imagination) elle remplace pour ainsi dire la troisième dimension — parce qu’elle est venue d’un “autre” monde pour soutenir un monde proche. Un monde proche, et pourtant étranger. La musique d’accompagnement vient donc en quelque sorte d’un monde tellement étranger qu’elle ne peut effectivement faire autre chose qu’accompagner et qu’elle demeure la fonction la plus importante du dynamisme et de la capacité d’illusion de l’ombre. La voix en revanche est la concurrente victorieuse de l’image.
Occasionnellement seulement, l’impression de l’image parlante parvient à être aussi immédiate que celle de sa voix : c’est le cas par exemple du “gros plan”. Mais il faut que l’image d’une bouche en train de parler occupe une partie très importante de la surface de l’écran pour être capable de concurrencer ses propres sons. Que l’on observe par exemple dans le cinéma parlant une séquence montrant une voiture en train de rouler, et que l’on compare le spectacle des roues et le bruit des roues en train de rouler. Ce dernier semble être dissocié des roues, parce que l’on ne voit pas là les mouvements d’articulation. Les roues passent silencieusement sur l’écran, comme dans le cinéma muet. Le bruit des roues en train de rouler se superpose à l’image, il ne provient pas de l’image. L’oreille du spectateur devient plus sensible que son œil. Comparée au vacarme assourdissant, suggestif, la force de suggestion de la rotation visible devient insignifiant. Le bruit se manifeste physiquement, le mouvement de rotation ne parvient pas à susciter l’illusion.
Voilà donc une question pleinement actuelle : que doit faire le cinéma pour rendre l’image aussi suggestive que sa composante acoustique ?
Le “cinéma”, l’image animée, ne tire, ainsi que nous l’avons vu, nul bénéfice du “son” simultanément enregistré et reproduit, le son affaiblit bien plutôt l’effet de l’image. La production de l’image animée ne peut donc rien attendre de cette nouvelle invention. L’image devra tenter d’atteindre de manière autonome une perfection qui lui permettra d’entrer véritablement en concurrence, c’est-à-dire en coïncidence avec sa propre composante accoustique. Peut-être le temps est-il venu pour le peintre de commencer à remplacer le photographe. Ou, plus exactement, pour la photographie d’emprunter à l’“art” son efficacité expressive physique. »

Frankfurter Zeitung, 6 mai 1929
(traduction Stéphane Pesnel, extrait du Cabinet des figures de cire, Seuil)


Olaf Gulbransson, Simplicissimus, 8 juin 1931

12 juillet 2011

Muet comme une tombe



Ne quittons pas Ralph Barton (sans doute momentanément) sans cette image où il réunit la famille du cinéma burlesque.
Y enterre-t-on la tragédie, ou est-ce le monde du muet qui pressent son propre ensevelissement ?

11 juillet 2011

Une superproduction du muet curieusement passée sous silence


Quel film de l’histoire du cinéma peut prétendre concurrencer celui de Ralph Barton (à moins que ce film ne fasse pas partie de l’histoire du cinéma). Pour interpréter cette version de La Dame aux camélias, Camille: The Fate of a Coquette, se réunirent :

Charlie Chaplin,
Paul Claudel,
Sacha Guitry,
Yvonne Printemps,
Paul Morand,
Sinclair Lewis,
Anita Loos,
John Emerson,
Sherwood Anderson,
Somerset Maugham,
Max Reinhardt,
Édouard Bourdet,
Jacques Copeau,
Alfred A. Knopf,
H. L. Mencken,
Paul Robeson,
Rex Ingram,
Sem,
Georges Lepape,
Serge Koussevitsky,
Wally Toscanini (la sœur d’Arturo),
etc.
(dont le Sultan du Maroc et le duc et la duchesse de Polignac).

À la même époque, toujours à la caméra, Ralph Barton suivit le tournage des Lumières de la ville.

10 juillet 2011

Karl & Anita




En compagnie d’Anita Loos, nous sommes de retour à Berlin, une occasion surprise de retrouver Karl Arnold à qui elle écrit :

Berlin, (September 1930)
A thousends thanks for the reproductions — I enjoyed looking over them enormously — even aside from my personal interest in them, as I have long been a great admirer of your work.
However, I wish to select some examples to send my publisher very carefully as he is a very moderate capitalistic 100% American and most of your drawings would frighten him to death. My own work is far from being either “sweet” or optimistic — but, so far, no one in America has discoverd the fact and my books are supposed to be quite genteel — and the satire of the drawings, naturally, must be slightly in the same tone.
I feel that the work I submit to him must be of the same general character as my book — and am taking the liberty to select a few of your drawings to send to him. There is no great rush about the work — as the book cannot be published until next summer.
As to my coming to Munich — I would much prefer to come later, after I have heard from the publisher, and know his ideas on the matter. So I am going to delay my return to Munich until the end of October. By that time I shall also have finished the manuscript, and we can talk things over completely.

Karl Arnold lui répondit-il par ce clin d’œil publié le 6 octobre 1930 dans le Simplicissimus ?


Dans le numéro suivant, Anita Loos faisait l'objet d'un entrefilet dans la rubrique littéraire :

Anita Loos, die amerikanische Schriftstellerin, unterhielt sich einmal mit Mencken über die amerikanische Frau.
«Ich finde», sagt Mencken, «äußerst wenig Qualitäten in der Durchschnittsamerikanerin.»
«Zwei Qualitätent hat jede Durchschnittsamerikanerin bestimmt», sagte Anita Loos. «Erstens nämlich ihre Schönheit und zweitens ihre Dummheit.»
«Wieso ist Dummheit eine Qualität ?»
«Nun, die Schönheit brauchen wir, damit die Männer uns lieben. Und die Dummheit brauchen wir, damit wir imstande sind, die Männer zu lieben…»

Déjà, le 13 juin 1927, Anita Loos apparaissait dans le Simplicissimus.

9 juillet 2011

Les hommes préfèrent les blondes mais ils épousent les brunes



Ralph Barton illustra le roman d’Anita Loos Les hommes préfèrent les blondes, énorme best-seller paru en 1925 après avoir été publié en feuilleton dans le Harper’s Bazar. Ils remirent le couvert deux ans plus tard avec sa suite (un peu moins pétillante) Mais ils épousent les brunes.




7 juillet 2011

Ralph & Charlie



« Je comptais maintenant me rendre à Londres pour y présenter “Les Lumières de la ville”. Pendant que j’étais à New York, je vis beaucoup mon ami Ralph Barton, un des rédacteurs du New Yorker, qui venait d’illustrer une nouvelle édition des “Contes drolatiques” de Balzac. Ralph n’avait que trente-sept ans, c’était un garçon excentrique et très raffiné, qui s’était déjà marié cinq fois. Il était déprimé depuis quelque temps et avait tenté de se suicider en avalant une forte dose de je ne sais quel médicament. Nous embarquâmes donc tous les deux sur l’Olympic, le bateau à bord duquel j’étais revenu pour la seconde fois en Amérique. »



Pendant ce voyage à Londres, Ralph Barton rendit visite à sa fille dans un couvent :
« Il me montra une photographie d’elle prise quand elle avait seize ans, et je fus frappé par sa beauté : deux grands yeux sombres, une bouche pleine et sensible et un sourire engageant. (…) Ralph m’expliqua qu’il l’avait emmenée à Paris, à des soirées dans des boîtes de nuit, dans l’espoir de lui faire oublier sa vocation religieuse. Ils lui avaient présenté des soupirants, ils s’étaient efforcés de la distraire et en avait semblé ravie. Mais rien ne put la détourner de devenir religieuse. Ralph ne l’avait pas vue depuis dix-huit mois. (…) La fille de Ralph finit par entrer dans la pièce. Je fus aussitôt frappé de tristesse car elle était aussi belle que sur sa photographie. Seulement, quand elle souriait, on voyait qu’il lui manquait deux dents sur le côté. La scène était étrange : nous étions assis tous les trois dans cette petite pièce sans gaieté, ce père indulgent et mondain de trente-sept ans, les jambes croisées fumant une cigarette, et sa fille, cette jolie religieuse de dix-neuf ans, installée en face de nous. J’avais envie de m’excuser et d’attendre dehors dans la voiture, mais ils ne voulurent rien entendre, ni l’un ni l’autre. (…) Quand l’heure fut venue de prendre congé, elle saisit la main de son père et la serra longuement et affectueusement, comme si elle avait je ne sais quelle intuition. Pendant le trajet de retour, Ralph demeura silencieux, tout en s’efforçant de ne pas paraître trop affecté. Deux semaines plus tard, il se suicida dans son appartement de New York en se tirant une balle alors qu’il était allongé sur son lit avec un drap par-dessus la tête. »

Ralph Barton, Contes drolatiques de Balzac

6 juillet 2011

Un jour à New York


TRENTE est une balade dans les années « plus ou moins trente », où les associations d’idées prennent le pas sur tout autre processus. Alors, quoi de plus facile que de bondir de Berlin à New York pour y rencontrer Ralph Barton. Nous le retrouverons bientôt en compagnie du plus illustre et populaire personnage de son temps qui s’est déjà manifesté par ici.
Revenir un jour ou l’autre à Berlin est envisagé mais peut-être en passant par Paris, ou Londres, à moins que nous fassions un détour par Buenos Aires… En tout cas ne prenons pas de billet pour le moment.




5 juillet 2011

Tirer la couverture





Voici l’ancienne édition Folio de Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin (1929), mais la traduction d’époque était incomplète et « ne correspondait plus aux exigences modernes d’une traduction » écrit le traducteur de la toute récente version. Mais Georg Grosz avait été choisi pour la couverture. Difficile d’être plus juste.




Voici l’édition actuelle. Mais George Grosz a disparu au profit d’August Sander représentant le peintre Anton Räderscheidt (1927). Un chef-d’œuvre, mais quel rapport avec le roman de Döblin ?

4 juillet 2011

Les temps modernes

Qui pouvait se mesurer à Charlie Chaplin ? Schiller, Goethe ou Ibsen ? Mais voilà Mickey qui s’en mêle. Qu’en pensent Wilhelm Schulz, Olaf Gulbransson et Karl Arnold ?

Karl Arnold, Simplicissimus, 26 janvier 1931
Olaf Gulbransson, Simplicissimus, 19 mars 1928
Wilhelm Schulz, Simplicissimus, 6 avril 1931


3 juillet 2011

Le dictateur


Th. Th. Heine, Simplicissimus, 8 novembre 1926

En 1926, Thomas Theodor Heine, co-fondateur du Simplicissimus à Munich en 1895 avec l’éditeur Albert Langen, dessine Charlot en diverses postures de dictateur. Heine devra fuir en Tchécoslovaquie en 1933 (avant de devoir gagner le Suède) et laisser sa revue à ceux qui « s’accommodèrent » du régime, c’est-à-dire en faisant d’abord profil bas (Karl Arnold) ou en s’y soumettant immédiatement sans vergogne (Schilling, Thöny, Schulz mais aussi Gulbransson).


Karl Arnold, Simplicissimus, 30 mars 1931

On comprendre difficilement, à la lecture de cette stupéfiante page de 1931, que Karl Arnold se soit soumis au diktat des nazis en continuant de travailler au Simpl’, et pas seulement pour des raisons économiques puisqu’il finit pas épouser les thèses du pouvoir nazi dans ses dessins 
(souligné : précisions écrites le 5 septembre 2017). 


« La virilité diminuée d’Hitler
à comparer avec la touche de féminin chez l’homme tombé dans la misère comme le représente Chaplin.
Tant l’éclat qui enveloppe tant de sordide
Les partisans d’Hitler
à comparer avec le public de Chaplin
Chaplin — le soc de charrue qui fend les masses ; le rire ameublit la masse.
Le sol du Troisième Reich est tassé ferme, plus aucune herbe n’y pousse.
Interdiction des marionnettes en Italie, des films de Chaplin sous le Troisième Reich.
Toute marionnette peut faire penser au menton de Mussolini, et chaque once de Chaplin, le Führer.
Le pauvre diable veut être pris au sérieux et il faut qu’il déploie aussitôt toutes les forces de l’Enfer.
La docilité de Chaplin apparaît aux yeux de tous, celle d’Hitler uniquement à ceux de ses commentaires.
Chaplin montre le comique du sérieux d’Hitler
quand il joue l’homme distingué, nous savons ce qu’il en est d’Hitler
Chaplin est devenu le plus grand des comiques parce qu’il s’est incorporé l’horreur très profonde des contemporains (…). »


Walter Benjamin, 1934 (traduction de Philippe Ivernel)

2 juillet 2011

Passage éclair


Karl Arnold, Simplicissimus, 7 avril 1930




Karl Arnold, Chaplin, 1930. Et le cinéma devint parlant. Pensons aussi à Menschen am Sonntag, sorti sans doute discrètement la même année : une modernité inouïe qui coïncide pourtant avec la fin d’une époque.



1 juillet 2011

Menschen am Sonntag






Avant de devoir s’exiler quelques années plus tard et de s’illustrer à Hollywood, Robert Siodmak, Edgar Ulmer, Billie Wilder, Fred Zinnemann et Eugen Schüfftan tournèrent cette perle rare à Berlin et à Wannsee, Menschen am Sonntag, en 1929.

Excusez-moi mais on m’appelle de Berlin


Pour commencer ce TRENTE du bon pied, un dessin de science-fiction de Karl Arnold datant du début des années vingt qui pose la question : est-ce bien souhaitable ?


Karl Arnold, Simpicissimus, 20 décembre 1926