25 décembre 2011

Cadeau de Noël




La pyramide de Noël,
la devancière de l’arbre de Noël

« La plus ancienne façon de disposer les bougies de Noël provient de coutumes ecclésiales : de l’autel. C’était la pyramide de lumières ; un petit bâti de bois stable, à la verticale, où les bougies s’étageaient aux diverses couches. Certes, il manquait à ces pyramides, aussi gracieuses fussent-elles, l’odeur de la résine et des aiguilles de pin.
La victoire de l’arbre de Noël se décida lentement. De quelle manière ? c’est ce que montrent nos images empruntées à de vieux livre d’enfants.
Finalement, ce fut un petit incident qui à la longue entraîna le remplacement de la pyramide par l’arbre de Noël. L’affaire se produisit en 1827 au marché de Noël de Berlin. À cette époque-là, sapins et épicéas n’étaient mis en vente dans les rues que fort isolément, le pyramides en revanche cinq fois plus que les arbres de Noël. En effet, les ouvriers qui n’avaient pas trouvé d’emploi durant l’hiver de l’année en question avaient eu l’idée de bricoler des pyramides de Noël, et ils les vendaient à tous les coins de rue avant la fête. Une telle surabondance fut alors créée que plus de mille pyramides de toutes dimensions restèrent invendues, bien qu’on les eût offertes pour un groschen. Quand disparut toute perspective de vente, les gens traînèrent leur propre marchandise jusqu’à Königsbrücke, et ils la balancèrent la tête la première dans la Spree, où les pauvres vinrent ensuite la chercher, le matin de Noël, pour s’en servir de combustible. De cette « crise », le marché des pyramides ne s’en est jamais remis. »
Walter Benjamin (éd. Rivages, traduit par Philippe Ivernel)


20 décembre 2011

Bedřich Fritta




Bedřich Fritta est né à Višňová u Frýdlantu le 19 septembre 1906. Il est mort le 8 novembre 1944 à Auschwitz-Birkenau, après trois ans de détention à Theresienstadt, où mourut sa femme Hensi. Ce camp « modèle » comprenait un département de dessin (Zeichnenstube) que Fritta anima, un orchestre et autres activités culturelles. Un film de propagande y fut tourné, idyllique, afin de tromper les inspecteurs de la Croix Rouge qui se laissèrent berner bien facilement.

En 1993, quittant Prague pour Berlin, je me suis arrêté à Terezín après une petite heure de route, comme surpris de me trouver dans cette bourgade tirée au cordeau, aux murs jaunes décrépits, ancienne ville de garnison comme alignée au commandement de sa forteresse habsbourgeoise où un camp fut installé en 1941, en premier lieu pour y regrouper les Juifs de Prague. Une salle d’exposition présentait les dessins des déportés, y compris des dessins d’enfants.
Je m’en suis tenu là — sans doute me suis-je rappelé mes 11 ans en visite à Buchenwald, restant seul dans la cour (je me souviens que j’étais comme frigorifié alors qu’on était en juillet), attendant que mes aînés (avec ma sœur) en finissent avec la visite du musée, alors que j’avais été jugé assez vieux pour la visite détaillée des terribles vestiges (très bien entretenus) — achetant pour quelques centaines de couronnes trois pochettes de cartes postales reproduisant dessins et peintures de Bedřich Fritta, Karel Fleischmann, Leo Hass, Petr Kien et Otto Ungar, ainsi que les dessins d’enfants, et le double CD des musiques de Pavel Hass, Gideon Klein, Hans Krása et Viktor Ullmann.

18 décembre 2011

Max Heilbronn (homonymie)


Quand il s’est agi d’illustrer l’article sur le fondateur de Monoprix*, Max Heilbronn, je n’ai trouvé qu’une seule photographie sur l’internet, un très beau portrait d’un jeune homme justement nommé Max Heilbronn, identifié comme étant le fondateur de Monoprix par le site des Anonymes, Justes et persécutés dans la période nazie.

Et puis s’est manifesté le neveu d’un autre Max Heilbronn, né au Luxembourg en 1920, qui fut déporté en 1943 à Maïdanek d’où il ne revint jamais.
La photo, m’écrit mon correspondant, a été prise à Cazaubon (dans le Gers), peu avant son arrestation le 24 février 1943, où il était réfugié au centre d’accueil du Bégué** fondé par la Direction des Centres d’accueil de l’abbé Glasberg, prêtre français d’origine juive (parlant yiddish), qui entra dans la clandestinité fin 1942, après que la zone non occupée (Unbesetztes Gebeit) fut occupée effectivement par les Allemands.



* publié le 5 décembre dernier
** site Traces & empreintes : http://www.jewishtraces.org/rubriques/?keyRubrique=le_chteau_du_bgu



17 décembre 2011

Côte 204


Lucas Nine, in Los Inrockuptibles (Argentine), 2011

« — Du vin, du sang ; du sang, du vin ! Dans les cimetières d’Aisne-Marne, Oise-Aisne, Meuse-Argonne, de la Somme, de Suresne, de Saint-Mihiel et des Flandres, j’ai engrangé les vendanges de la mort. Plus de trente mille cadavres reposent dans les prairies en fleurs, pétales de chair déchiquetée par les shrapnels et la mitraille. (…)
Il n’est pas juste que la semence pernicieuse de Nabuchodonosor ou d’Alexandre continue de polliniser encore de nos jours, alors même qu’on exige de l’épi d’avoine qu’il ait un pedigree ! Les foules exultantes de patriotisme, les vertes prairies de cuivre émaillé ne sont qu’indignes camouflages ! Et pendant ce temps, les Maxim Vickers, Armstrong et autres marchands de canons veillent au grain. Ce sont les premiers à effacer les traces du crime, en labourant encore et toujours la surface de la terre et les tissus de la conscience… la nature ment, les ventres mentent, les esprits mentent. Toutes les belles devises : paix, travail, harmonie resteront à jamais otages de leur soif d’extermination. Je les ai entendus proférer leurs félonies de mes propres oreilles. J’étais à Château-Thierry, moi, sur la fameuse Côte 204, le gigantesque ossuaire de trente mille soldats américains. Là-bas, depuis le petit temple élevé à la mémoire du massacre, ces messieurs du conseil d’administration de la Bethlehem Steel Company et de Creusot Schneider nous ont resservi la fable de l’amour de la patrie et de la grandeur du sacrifice pendant que leurs agents vendaient subrepticement des armes à l’ennemi potentiel et déposaient des brevets. L’industrie d’abord ; le reste ensuite… et voilà qu’ils continuent leur desseins perfides en labourant les charniers et en décernant des médailles. (…) »


Op Oloop (1934), Juan Filloy (1894-2000), traduit de l’espagnol (Argentine) par Céleste Desoille (éd. Monsieur Toussaint Louverture)


14 décembre 2011

Dernier souffle


Le 12 mars, « Pour la constitution de l’empire allemand », « Le Reich allemand est une république. L’autorité du gouvernement émane du peuple. Les couleurs nationales sont noir-rouge-or » est la légende de ce dessin de Karl Arnold dans le Simplicissimus — encore dirigé par Heine (exceptionnellement daté de Stuttgart et non de Münich).
Le 1er avril se déchaînent les violences antisémites.
Et le Simplicissimus se soumet.

11 décembre 2011

« Mars est revenu… »



Le 5 mars 1933 les élections au Reichstag verront les nazis s’emparer totalement du pouvoir.
Ce même jour paraît en couverture du Simplicissimus ce dessin de Th. Th. Heine, où des citoyens se rendent au bureau de vote. Ce sera son ultime couverture.

« Der März ist gekommen, die Knüppel schlagen aus,
Da Bleibe, wer Lust hat, mit Sorgen zuhaus.
Und die Bürger, die g’schlafen hab’n die lange Winterzeit,
Die werden wieder munter und wählen voll Freud’.»*

*Mars est revenu, les matraques se sont tues,
Reste chez lui qui a envie, bien loin sont les soucis,
Et les citoyens qui ont dormi pendant le long hiver,
Une nouvelle fois se réveillent, et tous votent emplis de joie.


Dans le même numéro, Karl Arnold dessine « Der Kanzler spricht » (Le chancelier parle), « Welch ein Fortschritt ! Früher hat er uns das Anhören seiner Reden verboten, nun spricht er höchstselbst unter uns ! »*

*Quel progrès ! Avant il nous défendait d’écouter ses discours, maintenant c’est pour nous en personne qu’il parle si fort !

10 décembre 2011

Souvenir de la bataille de Teutoburg


Le 5 février 1933, la semaine où Hitler enlève la chancellerie (et obtient de Hindenburg la dissolution du Reichstag), Karl Arnold dessine cette couverture du Simplicissimus : « Toujours son combat, jamais pour vous de travail ni de pain. » Il y évoque ironiquement la bataille de Teutoburg (ou Hermannsschlacht), où les Germains défirent les légions romaines en 6 après J.-C., dans la forêt, en hiver, sous la conduite de Caius Julius Arminius, ou Hermann der Cherusker*.

* Germain chérusque romanisé dès son enfance, il tournera casaque pour unir les tribus germaines contre Rome.

8 décembre 2011

Thomas Mann schriebt

Simplicissimus, 21 août 1932

Le 21 août 1932, depuis sa résidence de Nidden sur la côte balte, Thomas Mann écrit aussitôt une carte postale à Karl Arnold :
« Begeister vor der genialen Komik Ihres Kyffhäusen-Bildes im Letzen “Simplicissimus”, senden wir Ihnen herzlichen Gruß und Glückwunsch. Das Blatt müsste massenweise unter die Leute gebracht werden. »*



De retour à Münich, Karl Arnold lui répond le 26 septembre :
« Sehr verehrter Herr Mann !
Ich war längere Zeit auf Reisen und so komme ich erst heute dazu, Ihnen für Ihren liebenswürdigen Gruß zum Kyffhäuserbild zu danken und zu sagen, daß ich mich über Ihren Beifall sehr gefreut habe. — Der Karikaturenzeichner hat ja heute mehr Stoff als im wilhelminischen Zeitalter, aber leider benehmen sich die heutigen Wilhelme schon derartig fertig karikiert, daß es oft schwer ist, ihre Lächerlichkeit lächerlich zu machen. Glückt es aber, dann fühlt “die Masse” ihre heiligsten Güter verletzt und darum freut man sich, wenn man hier und da eine wertvolle Zustimmung bekommt. »**

Des élections législatives ont eu lieu quelques semaines plus tôt ont vu le parti nazi obtenir 37% des voix. Les SA sèment la terreur.



* Enthousiasmés par le génie comique de votre dessin “Kyffhaus” (sans doute une allusion à l’opéra Der Kyffhaus Berg de Henri Marschner, créé en 1816) du dernier “Simplicissimus”, recevez nos chaleureuses salutations et félicitations. Cette page devrait être massivement distribuée à tout le monde.

** Cher monsieur Mann !
J’ai été longtemps en voyage et je puis seulement aujourd’hui vous remercier de vos compliments à propos de mon dessin “Kyffhäuser” et vous dire combien vos applaudissements m’ont fait plaisir. — Le dessinateur a un rôle plus important encore aujourd'hui qu’à l’époque wilhelminienne, mais, hélas, les comportements caricaturés aujourd’hui l’ont déjà été du temps de Guillaume, c'est en général difficile de rendre ridicule leurs ridicules. Si toutefois on y réussit, alors qu’on se réjouit de recevoir ici et là de précieux soutiens, “la masse” sent ses biens les plus sacrés outragés.*

7 décembre 2011

Haut et court


Hitler est au pouvoir. Le Simplicissimus est aryanisé (nous avons déjà vu que Th. Th. Heine sera contraint à l’exil). Goebbels met l’UFA à sa botte.
Karl Arnold publie le 28 mai 1933 ce dessin qui exprime sa sympathie pour les artistes du cinéma (« pas en vogue en ce moment »), comme il avait accompagné l’effervescence artistique et intellectuelle de la république de Weimar.

5 décembre 2011

Monoprix 40-45


Sur le site de Monoprix, une chronologie raconte son histoire. Les dates de 1940 et 1945 retiennent l’attention.

1940 - « La construction du réseau Monoprix se poursuit. Chaque année, de nombreux magasins ouvrent leurs portes portant le nombre total de points de vente à 63. En parallèle, la centrale d'achats créée dès les origines poursuit son développement. »
1945 - « Durement épouvé par la Seconde Guerre mondiale, le réseau Monoprix commence sa renaissance dès 1945. »

Par les termes utilisés, par ses lacunes décelables, par son ellipse, ce résumé historique sibyllin intrigue. Pour 1940, le temps utilisé, le présent de l’indicatif, est particulièrement ambigu. Il ne dit pas si c’est à cette date que la construction du réseau a atteint soixante-trois magasins, ou si ce chiffre fut atteint pendant l’Occupation (ou « la Seconde Guerre mondiale » comme il est écrit).
Vérification faite, ce survol historique recouvre une réalité autrement plus précise — et grave :
Monoprix, comme les Galeries Lafayette, ont été aryanisés.

Max Heilbronn, gendre du fondateur des Galeries Lafayette, qui créa Monoprix en 1932 à Rouen, fut une grande figure de la France libre qu’il rejoignit dès octobre 1940 (le statut des Juifs instauré par Vichy date du 3 octobre). Il s’y illustra dans le sabotage des trains. Arrêté en 1943 par la Gestapo, il fut déporté à Buchenwald. Il survécut.

3 décembre 2011

Autodafé





Dans La Logique des bûchers*, consacré à l’Inquisition, Nathan Wachtel écrit dans sa préface : « L’autodafé n’a pas seulement pour but de répandre la crainte par le spectacle grandiloquent du châtiment ; c’est en même temps un rite d’élimination du mal, d’éradication de l’infection et de l’infamie juives, de purge collective autant physique que spirituelle (…)** ». Dans sa conclusion (De la banalité du mal), tout en préservant comme Hannah Arendt la distinction fondamentale de la « Solution finale » avec tout autre événement de l’histoire, il met en « parallèle, d’une part, la trajectoire du judaïsme ibérique du XVe au XVIIe siècle et, d’autre part, la destinée du judaïsme allemand (voire européen) à l’époque contemporaine*** ».

En 1935, Elias Canetti publie Auto-da-fé, son seul roman.
« Le voilà debout, plongé dans la contemplation de Rome. Il voit des membres qui se débattent. La puanteur de la chair brûlée emplit l’air. Comme les humains sont stupides ! Il oublie son ressentiment, un simple bond et ils seraient sauvés.
Soudain — il ne sait comment cela s’est produit — les hommes se changent en livres. Il pousse un cri déchirant et se rue dans la direction du feu sans prendre le temps de réfléchir. Il court, halète, se couvre d’injures, bondit dans les flammes, allonge la main et se trouve prisonnier de corps humains qui l’implorent. Son ancienne angoisse l’étreint, la voix de Dieu le délivre, il s’échappe et contemple ensuite du même endroit le même spectacle. À quatre reprise, il se laisse duper. La rapidité des événements augmente chaque fois. Il sait qu’il est baigné de sueur. Il aspire secrètement à l’instant de répit qui lui est accordé entre deux paroxysmes. À la quatrième trêve, le Jugement dernier le rattrape. Des charrois gigantesques, hauts comme des maisons, hauts comme des montagnes, hauts comme le ciel, arrivent des deux directions, de dix, de vingt, de toutes parts et s’approchent de l’autel dévorateur. La voix puissante et destructrice raille : “Maintenant, ce sont des livres !” Kien pousse un rugissement et s’éveille. »

* éditions du Seuil, 2009
** p. 28
*** p. 252

ps : Rendons la trouvaille de cet article dIrène Chevreuse dans L’Illustration au feuilleton de Raphaël Meltz, SUBURBS, autour du fort d’Aubervilliers, publié dans le Tigre n°012
ps 2 : La source venant sans doute de Lionel Richard : http://books.google.fr/books?id=BNE3DBprTMwC&pg=PA211&lpg=PA211&dq=%22irène+chevreuse%22&source=bl&ots=jjgp1KdgMd&sig=R61mOWhSQ0bEmnbLAu01peURhi8&hl=fr&sa=X&ei=x7csU9e9OIPP0AXX8YDwCw&ved=0CC0Q6AEwAA#v=onepage&q=%22irène%20chevreuse%22&f=false


Le nazisme et la culture, Lionel Richard

28 novembre 2011

Au bon accueil





L’un de ces deux hommes se nomme Liebschütz, Henri, le frère de Georges, mon arrière-grand-père maternel. Ils vont d’un bon pas. La prospérité semble les avoir gâtés. Ils sont habillés très chic. Leur allure est celle de tout nouveaux ministres se rendant à l’Élysée pour leur premier conseil. Mais nous ne sommes pas à Paris, mais plutôt à Chalon-sur-Saône, la ville natale de Nicéphore Niépce, où le père d’Henri, Emmanuel, fils de modestes marchands forains alsaciens très attachés à la France, est venu en 1870 combattre avec les troupes de Garibaldi. Il y rencontra Céline Jacob. Ils tiendront une boutique de passementerie, puis de chaussures (« Au bon accueil »). Henri est représentant de commerce.
Le photographe les attend sur le trottoir, Liebschütz le regarde fièrement. Son ami (collègue ou associé) est moins concerné. Il ne faut pas les manquer, il faut faire vite, il est exclu de leur demander de s’arrêter pour poser. Derrière eux, coiffé d’une casquette, un homme pourrait bien les photographier aussi (à leur insu ?), comme chargé du contre-champ, et un autre se retourne, cherchant à savoir qui il pouvait bien avoir croisé, ou intrigué par le manège du photographe — que ce soit un professionnel ou un familier d’un des deux hommes (d’Henri probablement).



Henri Liebschütz est mort à Auschwitz le 12 mars 1944, sa femme Émilie aussi, à l’âge de soixante-dix ans.


26 novembre 2011

Sourire japonais


En 1935, Setsuko Hara débute au cinéma dans Tamerau nakare wakodo yo, de Tetsu Taguchi. Elle a quinze ans. Le cinéma parlant a gagné le Japon.
Elle obtient son premier grand rôle dans dans Atarashiki Tsuchi, La Fille du samourai, en 1937 (production germano-japonaise dirigée par Arnold Franck et Mansaku Itami).



Setsuko Hara reste liée à jamais au cinéma d’Ozu (l’inoubliable Noriko de Voyage à Tokyo, 1953) avec qui elle tourna six films, de Printemps tardif en 1949 à L’Automne de la famille Kohayagawa (ou Automne précoce) en 1961.
Mais comment ne pas se souvenir aussi de Taeko (Nastassia) dans L’Idiot de Kurosawa. Elle abandonna le cinéma et se retira radicalement de la vie publique après la mort d’Ozu, en 1963. Cette retraite prématurée la fait comparer à Garbo par Donald Richie*, à ceci près que son sourire était bien moins rare, un sourire radieux et mélancolique.
Setsuko Hara est toujours vivante.


*Donald Richie, Ozu, éditions lettre au blanc, Genève 1980













24 novembre 2011

Gosses de Tokyo


Mars 1932, Charlie Chaplin se rend au Japon où il ne tourne pas de film de samourai.
Le 3 juin 1932, le vingt-quatrième film d’Ozu, Gosses de Tokyo (ou Je suis né, mais… ou Et pourtant nous sommes nés) sort dans les salles.


(Vous pouvez aussi couper le son.)

Au Japon, la popularité des benshi, qui commentaient les films muets, fit que le parlant tarda à s’imposer.

Un an plus tard, Chaplin commence Les Temps modernes. Entre temps, il a rencontré Paulette Goddard.

20 novembre 2011

Temps perdus

Je m’aperçois qu’il y a un bon moment que je ne suis pas revenu vers ces années trente, occupé par d’autres années. Et puis, vous savez bien, le temps qu’on perd au téléphone (e-mail, facebook & Co) !

2 novembre 2011

Drohobycz, le 2 novembre 1928


« Drohobycz, le 2 novembre 1928
Messieurs,
Je soussigné Bruno Schulz, déclare avoir occupé le poste de professeur de dessin temporaire au lycée d’État de Drohobycz, du 1er septembre 1924 jusqu’à la fin de l’année scolaire 1927-1928, avec une brève interruption entre le 15 mars et le 30 avril 1926, dans le but de préparer l’examen autorisant à exercer le métier de professeur de dessin dans les établissements d’enseignement secondaire — examen que j’ai passé avec succès le 27 avril 1926.
Par un décret du 4 juin 1928 (n° III 8131/28) la direction de la circonscription de Lwów a décidé de mettre fin à mon contrat d’enseignement à partir du 31 août de cette année, alléguant qu’après quatre ans d’enseignement je n’avais pas encore obtenu toutes les qualifications professionnelles requises.
Or le 18 octobre de cette année, à Varsovie, j’ai passé devant le jury officiel autorisant à exercer le métier de professeur dans les établissements d’enseignement secondaire (comme le prouve le télégramme ci-joint envoyé par le jury au proviseur du lycée d’État de Drohobycz). Je vous demande donc par la présente de bien vouloir procéder à ma nomination en qualité de professeur titulaire au lycée d’État de Drohobycz.
Ci-joint* : le télégramme du jury d’examen de Varsovie.
Bruno Schulz


* Nous attestons que M. Bruno Schulz (…) ayant passé les examens réglementaires (…) et effectué son stage d’enseignement au lycée d’État de Drohobycz, s’est présenté à l’examen d’État en vue de l’obtention d’un poste de professeur de dessin des écoles secondaires, examen pour lequel il a obtenu la mention “bien” (…) Varsovie, le 28 octobre 1928. »


21 octobre 2011

Partie de campagne



Jean Renoir, Sylvia Bataille, Charles Blavette, Jacques B. Brunius, Partie de campagne, comment ne pas y penser maintenant.


17 octobre 2011

Plages comparatives


Je découvre ces jours-ci le Kladderadatsch (Patatras), revue satirique allemande de tendance conservatrice qui a été numérisée par l’université de Heidelberg :
Fondée à Berlin pendant les événements révolutionnaires de 1848 par David Kalisch et Heinrich Albert Hofmann, elle accompagne la naissance de l’unité allemande, et toute l’histoire de l’Allemagne jusqu’en 1944 quand elle cesse définitivement de paraître sur ordre de Goebbels, malgré un soutien sans faille aux nazisme.
Garvens était un de leurs dessinateurs phares dans les dernières décennies, avec Lindloff, Werner Hahmann et Arthur Johnson (germano-américain d’origine, il a été allemand jusqu’au bout).
J’ai choisi cette page de Garvens de 1927 pour profiter encore un peu de l’été et du temps des baignades. Et puis la comparaison avec le dessin de Karl Arnold dans le Simplicissimus, qui le précède, symbolise peut-être la différence entre les deux revues concurrentes.

13 octobre 2011

Un peu plus tôt, sur les rives du Wannsee





Karl Arnold dessine ce Freibad Wannsee en 1923 dans sa série Berliner Bilder, publiée d’abord dans le Simplicissimus avant d’être réunie en recueil l’année suivante.
Ces scènes de genre sont un de ses sujets de prédilection.

12 octobre 2011

« Danke schön »



J’ai commencé Trente au début de l’été avec Menschen am Sonntag, tourné en 1928 à Berlin et sur les rives du Wannsee par des jeunes gens, juifs, qui allaient bientôt devoir s’exiler et finalement poursuivre leur carrière à Hollywood. 

7 octobre 2011

Un historien dans le siècle




Deux dates, par leur conséquences, ont particulièrement marqué toute la vie de mes grands-parents et par là-même celle de toute la famille :
1933, Robert Schnerb soutient sa thèse d’histoire, fort novatrice tant par son sujet que dans sa méthodologie, Les contributions directes à l’époque de la Révolution dans le département du Puy-de-Dôme, mais ne reçoit que la modeste mention « honorable ». Cette décision infondée, voire inique, lui fermera à jamais les portes de l’Université.
1941, Robert et Madeleine Schnerb sont révoqués de leur poste au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand suite aux lois antisémites de Vichy d’octobre 1940.


Cette histoire, ma sœur Claudine l’a reconstituée dans son livre Robert Schnerb, un historien dans le siècle, préfacé par l’ancien élève de Robert Schnerb en khâgne, Nathan Wachtel, professeur au Collège de France. Il vient de paraître dans la collection Inter-national des éditions L’Harmattan.






C’est le moment de donner la légende de l’illustration permanente de ce blog. Ce n’est pas une surprise : il s’agit d’une page d’un album familial, en date de 1931. Y figurent mes grands-parents, Robert et Madeleine Schnerb (née Liebschütz, son frère Pierre y est présent aussi), dans le parc de leur maison de Coudes (Puy-de-Dôme) ou quelque part dans les environs. La petite fille se nomme Hélène, elle a deux ans. C’est ma mère.
C’est le moment de dire que l’idée de Trente — rôder, flâner, baguenauder, enquêter, s’égarer autour de ces années-là — vient de cette histoire.



3 octobre 2011

Vingt-neuf, trente, trente et un


C’est le moment de donner la légende de l’illustration permanente de ce blog. Ce n’est pas une surprise : il s’agit d’une page d’un album familial, en date de 1931. Y figurent mes grands-parents, Robert et Madeleine Schnerb (née Liebschütz, son frère Pierre y est présent aussi) quelque part dans le Puy-de-Dôme. La petite fille se nomme Hélène, elle a deux ans. C’est ma mère.
C’est le moment de dire que l’idée de Trente — rôder, flâner, baguenauder, enquêter, s’égarer autour de ces années-là — vient de cette histoire.


1 octobre 2011

Après l'affiche, le film



Cette suppression ne manque par de sel. Quand on pense au destin de Keaton, Warner aurait pu être aussi « attentif » à son endroit et en son temps.

28 septembre 2011

Faulkner s’amuse (suite)


Dans sa monographie de John Held, Jr., Illustrator or the Jazz Age, s’appuyant sur un article de Thomas Ince, Shelley Armitage confirme mon intuition sur l’intérêt soutenu de Faulkner pour Held*.
« As Thomas Inge has demonstrated in an article on Faulkner and the funnies, no less an admirer and imitator than William Faulkner emulated Held’s blockprint and more fluid cartoon styles, finding in this visual form, with its ability to capture the energy of dance and music and its satiric and detached point of view, a lingering influence on his own fiction. Indeed, Held’s imitators were many, but in the case of Faulkner, one can see the recognition of Held’s archetypal power. »

* voir billet du 11 septembre.

26 septembre 2011

Les dessous sonores de la diplomatie


Selon Karl Arnold, le cinéma parlant tout nouveau né — nous sommes en 1929 — pourrait révéler des dessous diplomatiques.

Révision du cours : en 1924, le plan du futur vice-président américain Charles Dawes proposait un arrangement très pragmatique pour le remboursement des réparations de guerre décidées au traité de Versailles. Cela lui valut le prix Nobel de la paix en 1925.
Six mois après ce dessin, ce fut le krach de Wall Street. La tranquillité du banquier de chez JP Morgan en fut-elle affectée ?

16 septembre 2011

Pourquoi Jean Gabin

Quand Jean Renoir tourne L’Homme du Sud*, troisième film de son exil américain, Paris vient d’être libéré.
William Faulkner, non crédité au générique, en avait co-écrit le scénario et Zachary Scott, l’acteur principal originaire du Texas, était un de ses amis.
Mais ce n’est pas pour cette raison que j’en viens à Jean Gabin, même s’il fréquenta la villa de Renoir à Hollywood avec ou sans Marlène Dietrich qui disait de lui qu’il était tendre et doux, et, avant de s’engager dans les Forces française libres en 1943, il n’est pas impossible qu’il y ait rencontré Faulkner qui, impécunieux, se rendit à Hollywood** en 1942 où on lui proposa un De Gaulle, où il retrouva Howard Hawks avec qui il plancha sur divers scénarios adaptés d’autres écrivains que lui, et où, surtout, dit-il, il gaspilla son temps dans ses mines de sel, un travail pénible et humiliant.
Pourquoi Jean Gabin alors ? Réponse :






* Billy Wilder le coiffa pour l’Oscar du meilleur réalisateur en 1946 (ce fut aussi le sort d’Hitchcock, McCarey, et Clarence Brown qui adaptera L’Intrus de Faulkner trois ans plus tard), mais il se rattrapa avec le Lion d’or à Venise.
** Les frères Coen le mettent en sène dans Barton Fink (encore un Barton).

13 septembre 2011

Un mariage déconcertant


Germaine Tailleferre (du groupe des Six avec Poulenc, Milhaud, Auric, Durey et Honegger) fut l’épouse de Ralph Barton à qui elle dédia ce concertino pour harpe et piano composé en 1927, peu après leur mariage.





Bruce Kellner*, le biographe de Barton, écrit : « His considerable charm, of which both friends and enemies spoke, his impecable manners, his flawless French prononciation, and his ardor for all things French, could not have failed to win some attention from Germaine Tailleferre, who spoke no English and had never felt comfortable in America. After the party, he offered to drive her back to her hotel in his white Voisin. En route he asked her to marry him the next day. She thought he was making fun of her, joking, but he was deadly serious. Some years earlier, Germaine Tailleferre had suffered a heartbreaking love affair; she would never love that way again, she reflected long afterward in attempting to explain to herself why she had accepted Barton’s offer. »


Germaine Tailleferre rencontra Charlie Chaplin quand il débarqua chez le couple quelques jours après leur mariage, à New York, où il consultait son avocat pour préparer son divorce d’avec Lita Grey.
« Comme j’admirais beaucoup ce qu’il faisait, je l’ai poussé à ce qu’il fasse lui-même la musique de ses films. Je lui disais: “Cela vous ressemble tellement, cela émane tellement de votre personnalité, ce n’est pas la peine d’avoir des nègres. Il faut avoir des nègres pour transcrire la musique, pour transposer, pour lui donner une forme quelconque, mais il faut donner vos thèmes vous-même”. Il n’osait pas trop, tout de même, se risquer. Il m’avait demandé de l’aider à ce genre de travail ; c’était au moment où il préparait son film Circus. Alors nous avons joué des thèmes ensemble et il voulait que j’aille à Hollywood pour les travailler avec lui. Seulement mon mari n’a pas voulu et je n’ai pas pu aller à Hollywood ; cela m’aurait beaucoup amusée, mais enfin cela ne s’est pas arrangé. En général les maris détestent que les femmes se fassent remarquer d’une façon ou d’une autre. Moi je n’aurais pas demandé mieux que de rester anonyme, mais Charlie voulait que je signe avec lui. Nous sommes partis en France, mon mari et moi, et je verrrai toujours, pendant que le bateau s’éloignait, notre pauvre Charlie qui était là sur le quai, qui nous regardait tristement et qui resta tout seul très longtemps à regarder le bateau disparaître. » (entretiens avec Georges Hacquard, 1979)


Ralph et Germaine dans leur patio du 46 rue Nicolo à Paris (aujourd’hui, semble-t-il, clinique de la Muette).

Ralph Barton se suicida un mois après son divorce. Mais la passion de sa vie resta l’actrice Carlotta Monterey qui, deux ans auparavant, avait épousé le dramaturge Eugene O’Neal qui venait de divorcer d’Agnes Boulton, la mère d’Oona qui, quinze ans plus tard, devint Oona Chaplin au grand courroux de son père qui ne lui pardonna jamais.

* The Last Dandy (préface de John Updike), University of Missouri Press

12 septembre 2011

Faussaire mais pas trop


Découvrant cette Modern Aphrodite sur des sites de vente, signée « Hallet » disent-ils (n’est-ce pas le nom d'un collectionneur indélicat ?) tout en indiquant avec précaution « attribué à Ralph Barton » (c’est joliment troussé en effet, bien dans sa manière, mais sans que sa personnalité se dégage absolument de celles de ses pairs), mais, en observant l’écriture quelque peu hésitante du titre et du nom, il me plaît d’imaginer qu’il faudrait l’attribuer à William Faulkner jouant les faussaires pour briller auprès des étudiantes d’Oxford (University of Mississippi) — à moins que ce dessin fût sa source d’inspiration pour son illustration parue dans Ole Miss (voir page du 10 septembre), mais c’est un peu moins joli comme histoire, non ?
(ajouté le 14 janvier) Mais il serait sûrement plus raisonnable de voir en Aubrey Beardsley le véritable maître ès dessin de William Faulkner.

Puisque nous en sommes aux élucubrations, en 1957, dans la troisième et dernière partie des Snopes, Le Domaine, Faulkner prénomme Barton l’artiste new-yorkais que rencontre Linda au Greenwich Village. Il est sculpteur (abstrait), juif et communiste. Le parallèle a ses limites. 




11 septembre 2011

Willliam, John Jr. et Margy !



Faulkner arrive à Paris le 12 août 1925. Le 16, Margy y est aussi.


Le site Barnacle Press (www.barnaclepress.com/list.php?directory=OhMargy) a publié une année d’Oh! Margy!, sans doute sa seule année à raison d’un épisode chaque semaine.