21 février 2012

De Vienne à Tournon


Le dessinateur Bil Spira, qui dut fuir l’Autriche après l’Anschluss, fréquenta le petit groupe d’exilés du Tournon (ou café de la Poste) autour de Joseph Roth, où madame Alazard servait des pernods à tire-larigot (ou bien du côte-du-rhône). 
Il en témoigne en 1947 dans le journal suédois Frehet, en compagnie de l’écrivain Stefan Fingal, l’indéfectible ami de Roth durant vingt ans. 




Au-dessus du Tournon, au 18 de la rue éponyme, à deux pas du palais du Luxembourg, une plaque signale que « le célècre écrivain autrichien Joseph Roth » y avait pris ses quartiers, précisément à l’hôtel de la Poste (alors dénommé), après que l’hôtel Foyot, de l’autre côté de la rue, où il avait résidé jusque-là, eut été détruit en 1937. 



Est-ce dû au hasard de la destinée si, en 1925, Joseph Roth consacra à Tournon, après Vienne (et avant Avignon), une de ses chroniques des Villes blanches ?  

« La ville, presque depuis son origine, a toujours été une capitale, une résidence pour les princes et les rois. Elle a appartenu à plusieurs nations, elle s’est transformée au cours du temps, mais aucun de ses maîtres n’a osé la ravaler jusqu’à en faire une ville de second ordre. Elle a toujours été jeune, fière, belle et vaste. Elle pouvait regarder l’avenir sans crainte, comme une déesse, sur laquelle le temps n’a pas prise. » 
Joseph Roth parle bien de Vienne (sous-préfecture de l’Isère) et non de Wien (capitale impériale de la défunte Autriche-Hongrie).
« Mais voilà que surgissent les murs d’une ville moyenâgeuse, romantique, presque allemande. C’est Tournon. » 



Délaissant le chemin de fer, Joseph Roth arriva à pied à Tournon (sous-préfecture de l’Ardèche). 
« D’un côté, les collines, de l’autre le fleuve. Pas de place pour respirer. Les maisons sont imbriquées les unes dans les autres, elles ne peuvent plus se dégager. Une ville entière est prisonnière. Elle est certes protégée de l’ennemi, mais à peu près comme quelqu’un qui n’aurait plus rien à craindre de personne, parce qu’il serait enfermé pour la vie. Une ruelle se fraie à grand-peine un chemin. Ah, la voilà qui se heurte à un mur, se resserre, se comprime encore plus et tombe sur une sœur qui connaît le même sort ! Les ruelles sont comme des vers, elles se tortillent entre les maisons. Celles-ci se pressent contre le fleuve et risqueraient de s’y noyer, si le mur d’enceinte qui le surplombe ne les retenait.
Je vais à droite, à gauche, devant moi, je retourne sur mes pas. J’entends des gens parler et je vois leurs gestes, mais ils sont aussi loin de moi que si nous étions séparés par des cloisons de verre. Un enfant rit, mais ce n’est ni un rire ni un enfant de mon époque. Je peux, dans des pays étrangers, me sentir à l’aise, comme chez moi, mais cela m’est impossible dans une époque étrangère. Notre vraie patrie, c’est le présent. Nos contemporains sont nos compatriotes. »


Bil & Mina





1 commentaire: