10 février 2015

L’envie d’Olécha



Ilya Ilf, Valentin Kataëv, Mikhaïl Boulgakov et Iouri Olécha, à l’enterrement de Maïakowski, le 17 avril 1930




« Mais de quoi le Guépéou pouvait-il l’incriminer ?
— Vous vous faites passer pour roi ? lui demanda le commissaire.
— Oui, roi des pieds-plats.
— Qu’est-ce cela veut dire ?
— Voyez-vous… J’ouvre les yeux d’une grande catégorie de gens. 
— À quel sujet leur ouvrez-vous les yeux ?
— Ils doivent comprendre quel est leur destin.
— Vous dites : une grande catégorie de gens. Qui rangez-vous dans cette catégorie ?
— Tous ceux que vous appelez des ratés. Ceux qui portent en eux des âmes démoralisées. Si vous le permettez, je vais vous exliquer la chose plus en détail. 
— Je vous en serai reconnaissant. 
— Toute une série de sentiments humains semblent devoir être supprimés… 
— Par exemple, quels sentiments ?
— … La pitié, la tendresse, l’orgueil, la jalousie, l’amour, en un mot tous les sentimenst dont fut pétrie l’âme de l’homme durant l’ère qui s’achève. L’ère du socialisme créera brusquement, à la place des sentiments anciens, une nouvelle série d’états d’âme. 
— Vraiment ?
— Je vois que vous me comprenez. Le persécuté se mue en communiste. Le communiste, dès que le démon de la jalousie le piquera, sera brimé également. L’aconit de la pitié, le crocodile de la vanité, l’aspic de la jalousie : cette flore et cette faune doivent être chassées du cœur de l’homme nouveau… »


Iouri Olécha, L’Envie, 1927
traduit du russe par Henri Mongault et Louise Desormonts (éditions Sillage) 


http://80grammes.blogspot.fr/2015/02/iouri-olecha.html?spref=fb


n°437

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