19 juin 2012

Avant-dernière


Karl Arnold, Simplicissimus, 6 mars 1932

De Berlin, le 9 mars 1932, Joseph Kessel écrivait : 
« Un orateur se leva. Je faillis pousser une exclamation de surprise. On eût dit un double de Hitler ; même culotte bouffante, même taille serrée, même chemise, même port de tête, jusqu’aux petites moustaches ; la copie était parfaite. C’était pourtant un ancien secrétaire du parti social-démocrate de Hanovre qui avait abjuré ses erreurs et embrassé la foi nazie.
Dès les premières phrases de ce transfuge, il fut évident qu’il était habile à mener les foules simples, à trouver avec elle un brutal contact, à réveiller les plus troubles instincts. Sa voix rauque savait se faire tour à tour sacarstique, cynique, grossièrement véhémente. Des crises d’hystérie soigneusement calculées alternaient avec des facéties qui déchaînaient des rires épais.
Et chaque mot, chaque rire, chaque plaisanterie visaient à soulever, nourrir et attiser la haine. 
Humanité, justice, espoir de paix, tout était bafoué, souillé. Tous les peuples ne valaient rien auprès du peuple allemand ; tous s’acharnaient contre lui, tous s’en repentiraient. La flatterie la plus violente, l’appel aux plus dangereuses revanches à l’extérieur et à l’intérieur se succédaient sans répit comme des coups de massue. 
Et quand l’orateur ne jugeait pas suffisante l’exaltation de l’auditoire, il avait recours à la bête noire, au bouc émissaire, au juif. L’expression de mépris, de menace qui tordait alors sa bouche était telle que la salle entendait le mot “Jude” avant qu’il le prononçât.
Et chaque fois, l’effet voulu était atteint. Des applaudissements, des imprécations furieuses éclataient comme une salve automatique et le semeur de haine reprenait son discours, flagellait les Français persque autant que les juifs d’Allemagne, les accusaient d’avoir payé ensemble la révolutions de 1918. »

 Th. Th. Heine, Simplicissimus, 13 mars 1932

À quatre jour de l’élection présidentielle où s’affrontaient Hitler, Thälmann et Hindenburg, ainsi que Theodor Duesterberg du parti national du peuple allemand, Kessel écrivait à propos du vote pour le vieux maréchal président : « Mais ce ne sera pas un signe denthousiasme ni damour. Ce sera le dernier effort dun organisme qui se défend contre la fièvre. En effet, autour du maréchal, se groupent dans une confusion incroyable les grands bourgeois populistes, les catholiques fervents, des sociaux-démocrates qui détestent larmée. Tous lavouent franchement : ils ne votent pas pour Hindenburg. Ils votent contre Thälmann le communiste, et contre Hitler le fasciste. »
Le lendemain, il concluait ainsi son article sur le dernier meeting de Hitler : « Adolf Hitler se croyait un si grand homme quil en avait persuadé ses auditeurs. 
Dans lAllemagne enfiévrée où javais déjà vu tant de signes de dérèglement, celui-là était le plus profond, car il voisinait avec la démence. »

Hindenburg obtint au premier tour 49,6 % des voix, Hitler 30,2 %, Thälmann 13,2 % et Duesterberg, 6,8 %.
Au second tour, Hindenburg l’emporta avec 53,1 %, devançant Hitler, 36,7 % et Thälmann, 10,1 %.
Moins d’un an plus tard, il se résoudra à donner les clefs à Hitler ; et les élections de mars 1933 seront les dernières :
http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2011/12/mars-est-revenu.html

Joseph Kessel, Témoin parmi les hommes, Texto, Tallandier 
ou Reportages, Romans, Quarto, Gallimard

1 commentaire:

  1. Comme toujours, un article exemplaire.
    Très habile interaction entre les deux reproductions de 1932 et la prose de Kessel. Images difficile à départager graphiquement d'ailleurs, tellement les styles de Heine et Arnold sont proches. Est-ce que ces extraits de Kessel sont issus du tome II (1930-1936) de ses reportages, chez l'éditeur Texto ? (je n'ai que le tome relatant la période 1938-1945) ?

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