L’un de ces deux hommes se nomme Liebschütz, Henri, le frère de Georges, mon arrière-grand-père maternel. Ils vont d’un bon pas. La prospérité semble les avoir gâtés. Ils sont habillés très chic. Leur allure est celle de tout nouveaux ministres se rendant à l’Élysée pour leur premier conseil. Mais nous ne sommes pas à Paris, mais plutôt à Chalon-sur-Saône, la ville natale de Nicéphore Niépce, où le père d’Henri, Emmanuel, fils de modestes marchands forains alsaciens très attachés à la France, est venu en 1870 combattre avec les troupes de Garibaldi. Il y rencontra Céline Jacob. Ils tiendront une boutique de passementerie, puis de chaussures (« Au bon accueil »). Henri est représentant de commerce.
Le photographe les attend sur le trottoir, Liebschütz le regarde fièrement. Son ami (collègue ou associé) est moins concerné. Il ne faut pas les manquer, il faut faire vite, il est exclu de leur demander de s’arrêter pour poser. Derrière eux, coiffé d’une casquette, un homme pourrait bien les photographier aussi (à leur insu ?), comme chargé du contre-champ, et un autre se retourne, cherchant à savoir qui il pouvait bien avoir croisé, ou intrigué par le manège du photographe — que ce soit un professionnel ou un familier d’un des deux hommes (d’Henri probablement).
Henri Liebschütz est mort à Auschwitz le 12 mars 1944, sa femme Émilie aussi, à l’âge de soixante-dix ans.