« Dieu le tient en haute estime, celui qui rétablit la paix entre les hommes, entre l’homme et la femme, entre les pères et les enfants, entre les voisins, mais en plus haute estime encore celui qui rétablit la paix entre les peuples, dit Welwel, en citant les paroles du Talmud, quand il informa Alfred qu’il était invité avec Jankel à un mariage, à la première légitimation d’une liaison amoureuse entre une fille du Village Neuf et un garçon du Village Vieux. Le couple s’était connu et aimé à la fête de la fraternisation. C’était à la fin du mois de janvier.
Welwel cita la phrase sans solennité, avec une pointe de tristesse. Il ne croyait pas que la fraternisation aurait un effet durable.
« C’est un bon signe, dit Jankel. Un signe seulement, rien de plus. Mais s’ils commencent à s’allier entre eux, c’est une bonne chose.
— Oui, oui, dit Welwel, ils se sont déjà alliés avant la fête de fraternisation.
— Mais seulement dans les anciennes familles, c’est le premier cas de mariage entre les deux villages », dit Jankel, faisant comprendre par une mimique à Welwel, qu’il ne fallait pas gâcher le plaisir d’Alfred, qui était tout heureux d’être invité à ce mariage.
Jankel, lui non plus, ne fondait pas d’espoirs excessifs sur la fraternisation, surtout après les dernières nouvelles politiques, que Welwel avait rapportées de la ville au début de l’année : dans la Voïvodine voisine, le mouvement nationaliste qui agitait les paysans ukrainiens donnait beaucoup de fil à retordre aux autorités, et s’il ne s’était pas encore étendu aux environs de Dobropolje, il y avait peu d’espoir que les agitateurs et les provocateurs qui existaient des deux côtés, épargnent juste ce petit coin tranquille.
Soma Morgenstern, Idylle en exil
(traduit de l’allemand par Denis Authier et Christian Richard)
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Soma Morgenstern au café Le Tournon à Paris, avec Joseph Roth (au centre), 1938 |
Soma Morgenstern, Viennois, Juif de Galicie, écrivait en allemand, comme Joseph Roth qu’il rejoignit en exil à Paris en 1938 suite à l’Anschluss, et à qui il consacra un livre :
Fuite et fin de Joseph Roth. Sa trilogie
Étincelles dans l’abîme lui valut la grande estime de Musil.
Pendant la drôle de guerre, il connut les camps d’internement français, s’en évada à l’arrivée des Allemands, et gagna les États-Unis en 1941 après avoir été parmi les réfugiés en transit à Marseille que Varian Fry et l
’Emergency Rescue Committee aidèrent dans leur fuite.
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