20 août 2011

Bisbilles au Ciné-Moka


M. Richard Rivière et M. Prosper Lefèbvre, chacun dans sa partie, tenait son rôle pour le premier. L’un dirigeait « Le Meilleur Orchestre » et l’autre projetait « Les plus Beaux Films » au Ciné-Moka de Limoges. Ils avaient surtout l’art de se mépriser.
Le chef d’orchestre arrivait tous les soirs au dernier moment pour la séance de 8 h 30. Il stationnait sa Renault Torpedo devant le cinéma, qu’elle fût bien en vue et faisait son entrée par la salle, pour qu’il fût bien en vue. Il s’appliquait à ce que toutes les têtes se retournassent, surtout celles qui s’habillaient aux Dames Françaises, alors que les musiciens étaient déjà dans la fosse à s’accorder en grinçant. Richard Rivière avait fait ses classes d’orchestre et de composition au Conservatoire sous la férule de Jules Massenet avant de diriger sempiternellement les mêmes scies des Strauss et de Waldteufel à Plombières, puis à Molitg-les-Bains, pour les asthmatiques et les rhumatisants. Diriger un orchestre de cinéma était un choix, affirmait-il avec superbe. Il pouvait enfin faire de la musique comme il l’entendait. Charlot l’ennuyait, certes, un piano eût suffi à accompagner ses gesticulations, mais il avait des compensations comme toute cette semaine d’octobre où il pouvait enfin se confronter à Wagner avec qui il partageait le prénom (quand il partageait son nom avec le vieux Bach). La Mort de Siegfried était programmée, une superproduction tirée de la légende des Nibelungen comme le disait le programme à l’intention des ignares. Jouer Wagner avec douze musiciens était une gageure, des musiciens pas fameux de surcroît mis à part la harpiste qui avait de jolis bras. Afin de ne pas ronger son frein pendant les actualités, le documentaire sur la fabrication d’une automobile et le deuxième épisode de La Justicière (une sottise injustifiable), Richard Rivière avait prévu d’y inclure en filigrane l’ouverture de Siegfried, comme les petits cailloux mènent à la montagne.
L’opérateur arrivait au Ciné-Moka par la petite porte latérale, une heure à l’avance, où il laissait sa bicyclette et sa fiancée Francette — elle tenait la caisse et vendait des friandises à l’entracte — et grimpait dans sa cabine, comme un marin grimperait à son mât pour envoyer la voilure. Prosper Lefèbvre avait vue sur l’orchestre qui s’accordait en grinçant. Ce moment musical était son préféré. Il ne supportait pas dès que Rivière s’en mêlait.
Il envoya la première partie avec les actualités (encore la Croisière noire, encore Mussolini, encore les troubles au Maroc, encore la victoire de Lacoste sur Borotra), le documentaire (encore des automobiles) et La Justicière (encore la victoire du bien). Pour une fois, il écouta sans déplaisir les efforts de l’orchestre, particulièrement pour imiter le son des balles de Lacoste et de Borotra tout en citant quelques mesures de l’ouverture de Siegfried. Il fallait convenir que Rivière n’était pas si mauvais musicien même si sa gestique amphigourique était grotesque. À l’entracte, avant de charger la première bobine, il admira les glissements de Francette de rang en rang. Il attendit que le maître ordonnât la première attaque pour lancer la bobine. Richard Rivière, totalement consacré à son tête-à-tête avec Wagner, ne s’aperçut pas tout de suite d’un petit détail non négligeable.
Prosper, alors que Lacoste sautait par-dessus le filet pour serrer la main de Borotra, entre mousquetaires, avait reçu un petit bleu du directeur « retenu à Toulouse avec Siegfried et Brunhild stop faites de votre mieux ».
Le public pouvait lire sur les tickets que la direction se réservait le droit de changer de programme en cas de force majeure. D’ailleurs personne ne râla. C’était un film allemand après tout. Richard Rivière développa les thèmes wagnériens pendant deux heures trente-quatre minutes. Qu’importe que ce fût sur les images de Madame Sans-Gêne.

La Bachellerie, le 28 août 2008

15 août 2011

Dugo, par quelques détours



Dugo, Simplicissimus, 19 septembre 1927



Parmi tous les dessinateurs du Simplicissimus, se distinguent les pensionnaires, les tauliers prodigieux, Heine, Wilke, Bruno Paul, Gulbransson, Blix, Thöny et bien sûr Karl Arnold très à l’honneur ici, qui monopolisent les pleines pages et les couvertures, mais on croisera aussi Pascin, George Grosz ou Alfred Kubin qui y pigent de-ci de-là dans les pages intérieures, au mieux sur une demi-page, quelques femmes dont Jeanne Mammen et Käthe Kollwitz, un Français, Bing, Henry Bing, qui survécut à la Première Guerre dans ces pages allemandes !, et puis, au détour d’un clic (www.simplicissimus.info), on tombe sur Dugo, on se demande qui est ce Dugo qui fait vaguement penser à Steinberg, en l’anticipant, qui décrit le cinéma sous un angle peu flatteur, où des Nana courent la carrière, dans ce dessin paru le 19 septembre 1927, soit trois semaines avant la sortie du Chanteur de jazz, on se renseigne sur l’internet, pas grand-chose, seulement ici Adrian M. Darmon, dans son livre Autour de l’art juif (aux éditions Carnot), fait naître Andras Szenes hongrois en 1896 mais ignore la date de sa mort, le définit comme peintre expressionniste, portraitiste comme l’illustre sur Google images Hölgyportré (Portrait de femme) en vente sur le site d’Arcadia, lot 139, 57 x 51, un unique et beau portrait de femme mélancolique, au teint bistre, au nez aquilin, aux grands yeux noirs sombres et cernés, dans une veine proche de Pascin peignant Hermine David, et aussi caricaturiste dans le Simplicissimus, Jugend et Le Rire, et là, riche de ce nouvel indice, en cherchant Andras Szenes sur le moteur, grâce au Dr. Leslie qui semble illustrer sa notice d’un portrait de l’artiste par un confrère dessinateur, sauf que, à regarder de plus près, on reconnaît la signature de Dugo et on distingue le nom de Paul Rand, sans doute le graphiste designer né Peretz Rosenbaum à Brooklyn en 1914 il y a exactement aujourd’hui quatre-vingt dix-sept ans et qu’en tout état de cause, c’est Dugo qui tire le portrait de son ami Paul Rand dessinant un logo et non linverse, Paul Rand immortalisant son ami Dugo en caricaturiste, ainsi, après ce détour, trouve-t-on Andre Szenes (moins bien traité que son compatriote Arpad), né en 1895 et mort en 1957, qui étudie l’architecture à Budapest, combat pendant la Grande Guerre dans l’armée austro-hongroise avant de se retrouver à Munich (berceau du Simplicissimus) où il étudie l’art, y expose ainsi qu’à Budapest, et, après une période parisienne, émigre en 1939 à New York où la postérité ne semble retenir de son art, à part quelques apparitions dans Vanity Fair et le Harper’s Bazaar où il croisa peut-être Saul Steinberg, que les timbres de la campagne prophylactique contre la tuberculose (National Tuberculosis Christmas Seals) émis en 1943 et 1950.


14 août 2011

Faut-il que ça saigne ?




Sur le dessin original tel qu’il a été reproduit dans le catalogue Karl Arnold, “Hoppla, Wir leben!” publié en 2010 chez Hatje Cantz, l’arbitre semble saigner du nez. Mais en observant d’autres traits, on s'aperçoit que ce n’était qu’un accident de plume que le dessinateur a probablement dû corriger sur épreuve pour la publication dans le Simplicissimus, en 1923. L’interprétation de la scène en est sensiblement modifiée.



Ici, l’image est extraite de l’album Berliner Bilder, reprenant la série préalablement publiée dans le Simplicissimus, paru en 1924.

6 août 2011

Match Allemagne-Pérou : place aux sportifs



August Sander, Société de gymnastique, 1930



Martin Chambi,
Équipe de basket-ball de l'université de San Antonio, Cuzco, 1931

3 août 2011

Match amical Allemagne-Pérou




Martin Chambi, L’orchestre de la famille Echave, Cuzco, 1931

August Sander, Le quatuor du Gewandhaus, Leipzig, 1921

1 août 2011

Café de la Paix


Quand Carl Meffert observa le café de la Paix, il nétait pas encore Clément Moreau, Walter Benjamin n’y était pas encore un habitué malgré lui.



Le 31 décembre 1933, Walter Benjamin, désormais lémigrant tel que le décrira plus tard Jo Spier, s'en ouvre dans une lettre à Gershom Scholem.

« La vie parmi les émigrés est insupportable, la vie en solitaire ne l’est pas moins, et il est impossible de vivre parmi les Français. Il me reste donc que le travail, mais rien ne le met plus en péril que de le distinguer si clairement comme la seule ressource interne. »

Son ami Bertolt Brecht, chez qui il résidera au Danemark en 1938, précise les termes :
« J’ai toujours jugé erroné le nom qu’on nous donnait :
“Emigranten”.
Cela signifiait “émigrés”. Mais nous n’avons pas
Émigré, choisissant librement
Un autre pays. Nous n’avons pas non plus migré
Dans un pays pour y rester, si possible pour toujours.
Non, nous avons pris la fuite. Nous sommes des expulsés, des bannis
Et le pays qui nous a accueillis ne doit pas être un foyer, mais un exil.
(…) »