18 février 2012

La patrie de Joseph Roth


« Toute déclaration en faveur du pays auquel — pour des raisons mystérieuses et donc impossibles à élucider — on donne le nom de  “patrie” doit — pour des raisons presque aussi indéfinissables — être précédée d’une sorte d’explication. Certes, jamais ni nulle part, il n’a encore fallu fournir d’excuse pour se déclarer en faveur de son pays d’origine. Mais aujourd’hui, voilà que, chez nous, on se voit obligé de dépouiller toute formule par laquelle on se reconnaît de ce pays, non seulement de l’emphase mensongère et de la rhétorique creuse dont on l’entoure depuis des décennies, mais aussi de la sanglante brutalité qui, également depuis des décennies, emprisonne et défigure le patriotisme, l’amour de la nation et la langue.
Car, si l’on a à déclarer son attachement à la patrie, cela ne peut se faire que sous une forme qui se distingue sans équivoque des formes usuelles de décalaration d’amour patriotique. Il y eut une époque, en Allemagne, où la silencieuse dignité du savant, la prudente timidité du poète, la raison du politicien et de l’homme d’État, tous les cœurs simples des individus privés avouaient et reconnaissaient, avec une naturelle évidence, leur amour de la patrie : dans leurs lettres, dans leurs œuvres et dans des circonstances de toutes sortes. Il n’existait pas de partis ayant le privilège du patriotisme et les professions de foi en faveur de la patrie n’étaient pas des appels au combat. De même que l’on considère qu’il ne peut y avoir de société vraiment humaine sans un sentiment de solidarité humaine, de même estimait-on alors qu’il ne pouvait y avoir d’opinion sans l’existence d’une sentiment national. Comme elles doivent être peu sûres ces nations où des partis entiers débattent, dix années durant — le temps de leur existence —, de leurs convictions nationales — ce qui est une évidence, et en aucune façon une preuve —, et non moins inlassablement de la façon de les exprimer. Le fait de se sentir chez soi au sein d’une nation est un sentiment élémentaire pour un citoyen européen, pas du tout une “conception du monde”, et encore moins un programme. Il serait donc tout simplement logique d’admettre que seuls sont sincèrement nationaux les partis qui, au lieu de faire étalage de sentiments national, considèrent que c’est là quelque chose qui va de soi. (…) »
Profession de foi en faveur de l’Allemagne, Frankfurter Zeitung, 27 septembre 1931


Rappelons que, à l’instar de Henri Heine, Joseph Roth se sent allemand par la langue, lui qui, natif de la Galicie austro-hongroise, Juif, Viennois, Parisien, exilé, désespéré, ne fut jamais Allemand de nationalité. La suite de son article est un éloge de la langue allemande.

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