Il y a trois ans, les éditions Le Bruit du temps ont publié Voyage au pays des Ze-Ka, de Julius Margolin (1900-1971), où il raconte comment il fut prit en tenaille entre l’Allemagne et l’URSS, après le pacte qui les lia en 1939, avant de se retrouver au goulag pour cinq ans.
Les mêmes éditions viennent de publier Le Livre du retour.
« J’étais plongé dans mon travail, mais je ne pus m’empêcher de dresser l’oreille. Je reconnus là un “petit caillou”. J’appelais ainsi, depuis mon enfance, les choses qui entrent par la fenêtre ouverte de notre mémoire et qui s’y fixent durablement, peut-être même pour toujours.
En général, nous ne maîtrisons pas tellement notre mémoire. Les événements et les objets y laissent des encoches sans nous demander notre avis. Des choses importantes s’effacent, des broutilles s’accrochent pour toujours. À cette époque, ma vie était comme un champ en friche jonché de cailloux. Plusieurs charrettes n’auraient pas suffi à les contenir. Or, les cailloux restaient — comme ce caillou de Polésie que j’avais choisi, je ne sais pour quelle raison, aux jours lointains de ma jeunesse, en me tenant devant la fenêtre du train, à la gare de Brest ou de Drohiczyn, sur une clairière, dans un bois de bouleaux. C’était à l’aube, une brume s’élevait au-dessus de l’herbe mouillée, les pentes du remblai étaient émaillées de boutons d’or. Notre train passait devant, et je fus saisi de regret et de désespoir à l’idée qu’il était impossible d’emporter cette vie qui s’effaçait d’instant en instant, et que chaque herbe en ces lieux perdus était condamnée, et mon regard s’accrocha pour un long moment — le temps du passage du train — à un caillou à deux mètres des rails, dont j’allais me souvenir à jamais. Avec l’espoir — que j’étais alors incapable de formuler ni d’exprimer avec des mots — que ma vie, comme ce caillou de hasard, serait arrachée à l’indifférence des choses et tomberait sous un Regard qui peut tout voir… »
Traduit du russe par Luba Jurgenson
Antoine Jaccottet, son éditeur, tient à signaler en note préliminaire que « le titre de l’ensemble, Le Livre du retour, n’est pas de Julius Margolin, mais il nous a paru convenir aussi bien au retour géographique de l’auteur dans son pays, qu’au retour dans le passé que constituent les chapitres consacrés à l’enfance sur lesquels s’achève le présent recueil. »
http://80grammes.blogspot.fr/2013/01/blog-post.html
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