Cette couverture fut comprise comme une provocation, prétexte aussi pour se débarrasser du Juif Heine — cruauté d’autant plus grande qu’il se sentait absolument allemand bien avant que d’être juif, comme Max Liebermann, Alfred Döblin et combien d’autres « Juifs assimilés ». Le procès en sorcellerie au sein même de la rédaction, Eduard Thöny et Erich Schilling en tête, l’éjectera, même si une interdiction d’un an seulement fut alors prononcée alors que c'était bien Dachau qui lui était promis.
http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/10/dernier-printemps.html
Jean-Michel Palmier souligne que pour continuer de travailler, tous les artistes devaient s’affilier aux chambres de culture, ici la chambre d’arts plastiques du Reich, ou celle pour la presse, instaurées par le Dr. Goebbels. Notons également que les dessinateurs satiriques se compromirent dans des proportions infiniment plus grandes que les écrivains et, dans une moindre mesure, que toutes les autres catégories d’artistes, comme si le clivage au sein de cette population vis-à-vis du nazisme ne s’était prononcé qu’en fonction de la « race » de chacun — ce qui ne laisse d’interroger.
Deux mois plus tard Heine prendra le chemin de la Tchécoslovaquie dont la grande générosité envers les proscrits fut particulièrement remarquable.
Le 2 mai 1933, de Prague, hébergé chez le Dr. Alfred Mayer, Heine écrit à Franz Schoenberner, lui aussi exclu du
Simplicissimus dont il était le rédacteur en chef, et contraint à l’exil en franchissant les Alpes le 19 mars pour gagner la Suisse en alpiniste, puis en France où à la déclaration de guerre en 1939 il fut détenu au camp des Milles près d’Aix-en-Provence, et enfin aux États-Unis, via Marseille et Lisbonne, grâce à Victor Fry et l’
Ermergency Rescue Committee. Cette correspondance dura jusqu’en 1947.
«
Nur kurz die Nachricht, daß es mir endlich gelungen ist, hierher zu fliehen. Wie geht es Ihnen ? haben Sie Pläne ? […] Ich schreibe Ihnen bald, hoffe aber bald auf ein Lebenszeichen von Ihnen. Zuletzt war ich fast 3 Wochen in Berlin verborgen.
Herzliche Grüße
immer Ihr Th. Th. Heine »*
* Pour faire bref, la nouvelle est que j’ai finalement réussi à m’échapper jusqu’ici. Comment allez-vous ? Vous avez des projets ? […] Je vous écris bientôt, mais j’espère aussi bientôt un signe de vie de votre part. En dernier lieu, j’ai été caché près de 3 semaines à Berlin.
Je vous salue de tout cœur,
votre fidèle Th. Th. Heine
Erich Schilling, thuriféraire du nazisme, veilla de près à l’application de ses préceptes, jusqu’à son suicide en 1945 à l’arrivée des troupes américaines dans sa petite ville bavaroise.
Karl Arnold, bien que certaines biographies bienveillantes ou mal informées écrivent qu’il fut interdit de travail pendant six mois, sa collaboration ne cessa jamais et ce régulièrement jusqu’en 1943 quand il tomba malade (
http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2013/10/le-reniement-darnold.html), dirigeant même le
Simplicissimus dans les premiers mois de 1934, accompagnant la politique officielle, versant lui aussi dans la caricature antisémite, et réservant son esprit caustique aux adversaires du IIIe Reich, par exemple en transposant la manière dont fut couverte la Première Guerre mondiale par le
Simplicissimus, les bellicistes étant toujours français ou anglais (les Soviétiques tirant les ficelles), et pour cela il usa d’un dessin de plus en plus gracieux, d’une absolue perfection formelle.
Quel symbole aussi que soit publié in extremis une critique élogieuse de
Solal d’Albert Cohen, dans cette fameuse colonne de critique littéraire commandée par le chien emblème de la revue dessiné en 1895 par Th. Th. Heine. N’oublions pas que le
Simplissicimus était une revue littéraire, fondée par l’éditeur Albert Langen qui publia tout ou presque de ce qui compta dans la littérature allemande et mondiale du moment.
Alexander Moritz Frey émigra en Autriche en 1933, puis réussit en 1938 à passer en Suisse, pourtant si peu accueillante.
Marcel Frischmann, Juif galicien, s’exila en Angleterre en passant par la Suisse.
http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/search/label/Marcel%20Frischmann
Olaf Gulbransson ne montra aucun état d’âme en accompagnant allègrement la nouvelle ligne de la revue à laquelle il collaborait depuis trente ans.
Wilhelm Schulz devint une nazi bon teint (à moins qu’il le fût déjà), comme beaucoup sous couvert d’anticommunisme, le
Simplicissimus n’ayant jamais eu la moindre sympathie pour cette idéologie.