Rêvons que Walter Benjamin ait pu connaître cette forme première, au commencement si peu « mécanisée ».
« […] Ainsi, dans l’antique vérité hératiclienne — les hommes à l’état de veille ont un seul monde commun à tous, mais pendant le sommeil chacun retourne à son propre monde — le film a fait une brèche, et notamment moins par des représentations du monde onirique que par la création de figures puisées dans le rêve collectif, telles que Mickey Mouse, faisant vertigineusement le tour du globe.
Si l’on se rend compte des dangereuses tensions que la technique rationnelle a engendrées au sein de l’économie capitaliste devenue depuis longtemps irrationnelle, on reconnaîtra par ailleurs que cette même technique a créé, contre certaines psychoses collectives, des moyens d’immunisation, à savoir certains films. Ceux-ci, parce qu’ils présentent des fantasmes sadiques et des images délirantes masochistes de manière artificiellement forcée, préviennent la maturation naturelle de ces troubles dans les masses, particulièrement exposées en raison des formes actuelles de l’économie. L’hilarité collective représente l’explosion prématurée et salutaire de pareilles psychoses collectives. Les énormes quantités d’incidents grotesques qui sont consommées dans le film sont un indice frappant des dangers qui menacent l’humanité du fond des pulsions refoulées par la civilisation actuelle. Les films burlesques américains et les bandes de Disney déclenchent un dynamitage de l'inconscient [11]. Leur précurseur avait été l'excentrique. Dans les nouveaux champs ouverts par le film, il avait été le premier à s'installer. C’est ici que se situe la figure historique de Chaplin. »
note [11] : « Il est vrai qu’une analyse intégrale de ces films ne devrait pas taire leur sens antithétique. Elle devrait partir du sens antithétique de ces éléments qui donnent une sensation de comique et d’horreur à la fois. Le comique et l’horreur, ainsi que le prouvent les réactions des enfants, voisinent étroitement. Et pourquoi n’aurait-on pas le droit de se demander, en face de certains faits, laquelle de ces deux réactions, dans un cas donné, est la plus humaine ? Quelques-unes des plus récentes bandes de Mickey Mouse justifient pareille question. Ce qui, à la lumière de nouvelles bandes de Disney, apparaît nettement, se trouvait déjà annoncé dans maintes bandes plus anciennes : faire accepter de gaieté de cœur la brutalité et la violence comme des caprices du sort. »
Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée
(version de 1936, traduction : Pierre Klossowski)
(version de 1936, traduction : Pierre Klossowski)
Déjà Chaplin et Mickey : http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2011/07/les-temps-modernes.html
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