25 décembre 2011

Cadeau de Noël




La pyramide de Noël,
la devancière de l’arbre de Noël

« La plus ancienne façon de disposer les bougies de Noël provient de coutumes ecclésiales : de l’autel. C’était la pyramide de lumières ; un petit bâti de bois stable, à la verticale, où les bougies s’étageaient aux diverses couches. Certes, il manquait à ces pyramides, aussi gracieuses fussent-elles, l’odeur de la résine et des aiguilles de pin.
La victoire de l’arbre de Noël se décida lentement. De quelle manière ? c’est ce que montrent nos images empruntées à de vieux livre d’enfants.
Finalement, ce fut un petit incident qui à la longue entraîna le remplacement de la pyramide par l’arbre de Noël. L’affaire se produisit en 1827 au marché de Noël de Berlin. À cette époque-là, sapins et épicéas n’étaient mis en vente dans les rues que fort isolément, le pyramides en revanche cinq fois plus que les arbres de Noël. En effet, les ouvriers qui n’avaient pas trouvé d’emploi durant l’hiver de l’année en question avaient eu l’idée de bricoler des pyramides de Noël, et ils les vendaient à tous les coins de rue avant la fête. Une telle surabondance fut alors créée que plus de mille pyramides de toutes dimensions restèrent invendues, bien qu’on les eût offertes pour un groschen. Quand disparut toute perspective de vente, les gens traînèrent leur propre marchandise jusqu’à Königsbrücke, et ils la balancèrent la tête la première dans la Spree, où les pauvres vinrent ensuite la chercher, le matin de Noël, pour s’en servir de combustible. De cette « crise », le marché des pyramides ne s’en est jamais remis. »
Walter Benjamin (éd. Rivages, traduit par Philippe Ivernel)


20 décembre 2011

Bedřich Fritta




Bedřich Fritta est né à Višňová u Frýdlantu le 19 septembre 1906. Il est mort le 8 novembre 1944 à Auschwitz-Birkenau, après trois ans de détention à Theresienstadt, où mourut sa femme Hensi. Ce camp « modèle » comprenait un département de dessin (Zeichnenstube) que Fritta anima, un orchestre et autres activités culturelles. Un film de propagande y fut tourné, idyllique, afin de tromper les inspecteurs de la Croix Rouge qui se laissèrent berner bien facilement.

En 1993, quittant Prague pour Berlin, je me suis arrêté à Terezín après une petite heure de route, comme surpris de me trouver dans cette bourgade tirée au cordeau, aux murs jaunes décrépits, ancienne ville de garnison comme alignée au commandement de sa forteresse habsbourgeoise où un camp fut installé en 1941, en premier lieu pour y regrouper les Juifs de Prague. Une salle d’exposition présentait les dessins des déportés, y compris des dessins d’enfants.
Je m’en suis tenu là — sans doute me suis-je rappelé mes 11 ans en visite à Buchenwald, restant seul dans la cour (je me souviens que j’étais comme frigorifié alors qu’on était en juillet), attendant que mes aînés (avec ma sœur) en finissent avec la visite du musée, alors que j’avais été jugé assez vieux pour la visite détaillée des terribles vestiges (très bien entretenus) — achetant pour quelques centaines de couronnes trois pochettes de cartes postales reproduisant dessins et peintures de Bedřich Fritta, Karel Fleischmann, Leo Hass, Petr Kien et Otto Ungar, ainsi que les dessins d’enfants, et le double CD des musiques de Pavel Hass, Gideon Klein, Hans Krása et Viktor Ullmann.

18 décembre 2011

Max Heilbronn (homonymie)


Quand il s’est agi d’illustrer l’article sur le fondateur de Monoprix*, Max Heilbronn, je n’ai trouvé qu’une seule photographie sur l’internet, un très beau portrait d’un jeune homme justement nommé Max Heilbronn, identifié comme étant le fondateur de Monoprix par le site des Anonymes, Justes et persécutés dans la période nazie.

Et puis s’est manifesté le neveu d’un autre Max Heilbronn, né au Luxembourg en 1920, qui fut déporté en 1943 à Maïdanek d’où il ne revint jamais.
La photo, m’écrit mon correspondant, a été prise à Cazaubon (dans le Gers), peu avant son arrestation le 24 février 1943, où il était réfugié au centre d’accueil du Bégué** fondé par la Direction des Centres d’accueil de l’abbé Glasberg, prêtre français d’origine juive (parlant yiddish), qui entra dans la clandestinité fin 1942, après que la zone non occupée (Unbesetztes Gebeit) fut occupée effectivement par les Allemands.



* publié le 5 décembre dernier
** site Traces & empreintes : http://www.jewishtraces.org/rubriques/?keyRubrique=le_chteau_du_bgu



17 décembre 2011

Côte 204


Lucas Nine, in Los Inrockuptibles (Argentine), 2011

« — Du vin, du sang ; du sang, du vin ! Dans les cimetières d’Aisne-Marne, Oise-Aisne, Meuse-Argonne, de la Somme, de Suresne, de Saint-Mihiel et des Flandres, j’ai engrangé les vendanges de la mort. Plus de trente mille cadavres reposent dans les prairies en fleurs, pétales de chair déchiquetée par les shrapnels et la mitraille. (…)
Il n’est pas juste que la semence pernicieuse de Nabuchodonosor ou d’Alexandre continue de polliniser encore de nos jours, alors même qu’on exige de l’épi d’avoine qu’il ait un pedigree ! Les foules exultantes de patriotisme, les vertes prairies de cuivre émaillé ne sont qu’indignes camouflages ! Et pendant ce temps, les Maxim Vickers, Armstrong et autres marchands de canons veillent au grain. Ce sont les premiers à effacer les traces du crime, en labourant encore et toujours la surface de la terre et les tissus de la conscience… la nature ment, les ventres mentent, les esprits mentent. Toutes les belles devises : paix, travail, harmonie resteront à jamais otages de leur soif d’extermination. Je les ai entendus proférer leurs félonies de mes propres oreilles. J’étais à Château-Thierry, moi, sur la fameuse Côte 204, le gigantesque ossuaire de trente mille soldats américains. Là-bas, depuis le petit temple élevé à la mémoire du massacre, ces messieurs du conseil d’administration de la Bethlehem Steel Company et de Creusot Schneider nous ont resservi la fable de l’amour de la patrie et de la grandeur du sacrifice pendant que leurs agents vendaient subrepticement des armes à l’ennemi potentiel et déposaient des brevets. L’industrie d’abord ; le reste ensuite… et voilà qu’ils continuent leur desseins perfides en labourant les charniers et en décernant des médailles. (…) »


Op Oloop (1934), Juan Filloy (1894-2000), traduit de l’espagnol (Argentine) par Céleste Desoille (éd. Monsieur Toussaint Louverture)


14 décembre 2011

Dernier souffle


Le 12 mars, « Pour la constitution de l’empire allemand », « Le Reich allemand est une république. L’autorité du gouvernement émane du peuple. Les couleurs nationales sont noir-rouge-or » est la légende de ce dessin de Karl Arnold dans le Simplicissimus — encore dirigé par Heine (exceptionnellement daté de Stuttgart et non de Münich).
Le 1er avril se déchaînent les violences antisémites.
Et le Simplicissimus se soumet.

11 décembre 2011

« Mars est revenu… »



Le 5 mars 1933 les élections au Reichstag verront les nazis s’emparer totalement du pouvoir.
Ce même jour paraît en couverture du Simplicissimus ce dessin de Th. Th. Heine, où des citoyens se rendent au bureau de vote. Ce sera son ultime couverture.

« Der März ist gekommen, die Knüppel schlagen aus,
Da Bleibe, wer Lust hat, mit Sorgen zuhaus.
Und die Bürger, die g’schlafen hab’n die lange Winterzeit,
Die werden wieder munter und wählen voll Freud’.»*

*Mars est revenu, les matraques se sont tues,
Reste chez lui qui a envie, bien loin sont les soucis,
Et les citoyens qui ont dormi pendant le long hiver,
Une nouvelle fois se réveillent, et tous votent emplis de joie.


Dans le même numéro, Karl Arnold dessine « Der Kanzler spricht » (Le chancelier parle), « Welch ein Fortschritt ! Früher hat er uns das Anhören seiner Reden verboten, nun spricht er höchstselbst unter uns ! »*

*Quel progrès ! Avant il nous défendait d’écouter ses discours, maintenant c’est pour nous en personne qu’il parle si fort !

10 décembre 2011

Souvenir de la bataille de Teutoburg


Le 5 février 1933, la semaine où Hitler enlève la chancellerie (et obtient de Hindenburg la dissolution du Reichstag), Karl Arnold dessine cette couverture du Simplicissimus : « Toujours son combat, jamais pour vous de travail ni de pain. » Il y évoque ironiquement la bataille de Teutoburg (ou Hermannsschlacht), où les Germains défirent les légions romaines en 6 après J.-C., dans la forêt, en hiver, sous la conduite de Caius Julius Arminius, ou Hermann der Cherusker*.

* Germain chérusque romanisé dès son enfance, il tournera casaque pour unir les tribus germaines contre Rome.

8 décembre 2011

Thomas Mann schriebt

Simplicissimus, 21 août 1932

Le 21 août 1932, depuis sa résidence de Nidden sur la côte balte, Thomas Mann écrit aussitôt une carte postale à Karl Arnold :
« Begeister vor der genialen Komik Ihres Kyffhäusen-Bildes im Letzen “Simplicissimus”, senden wir Ihnen herzlichen Gruß und Glückwunsch. Das Blatt müsste massenweise unter die Leute gebracht werden. »*



De retour à Münich, Karl Arnold lui répond le 26 septembre :
« Sehr verehrter Herr Mann !
Ich war längere Zeit auf Reisen und so komme ich erst heute dazu, Ihnen für Ihren liebenswürdigen Gruß zum Kyffhäuserbild zu danken und zu sagen, daß ich mich über Ihren Beifall sehr gefreut habe. — Der Karikaturenzeichner hat ja heute mehr Stoff als im wilhelminischen Zeitalter, aber leider benehmen sich die heutigen Wilhelme schon derartig fertig karikiert, daß es oft schwer ist, ihre Lächerlichkeit lächerlich zu machen. Glückt es aber, dann fühlt “die Masse” ihre heiligsten Güter verletzt und darum freut man sich, wenn man hier und da eine wertvolle Zustimmung bekommt. »**

Des élections législatives ont eu lieu quelques semaines plus tôt ont vu le parti nazi obtenir 37% des voix. Les SA sèment la terreur.



* Enthousiasmés par le génie comique de votre dessin “Kyffhaus” (sans doute une allusion à l’opéra Der Kyffhaus Berg de Henri Marschner, créé en 1816) du dernier “Simplicissimus”, recevez nos chaleureuses salutations et félicitations. Cette page devrait être massivement distribuée à tout le monde.

** Cher monsieur Mann !
J’ai été longtemps en voyage et je puis seulement aujourd’hui vous remercier de vos compliments à propos de mon dessin “Kyffhäuser” et vous dire combien vos applaudissements m’ont fait plaisir. — Le dessinateur a un rôle plus important encore aujourd'hui qu’à l’époque wilhelminienne, mais, hélas, les comportements caricaturés aujourd’hui l’ont déjà été du temps de Guillaume, c'est en général difficile de rendre ridicule leurs ridicules. Si toutefois on y réussit, alors qu’on se réjouit de recevoir ici et là de précieux soutiens, “la masse” sent ses biens les plus sacrés outragés.*

7 décembre 2011

Haut et court


Hitler est au pouvoir. Le Simplicissimus est aryanisé (nous avons déjà vu que Th. Th. Heine sera contraint à l’exil). Goebbels met l’UFA à sa botte.
Karl Arnold publie le 28 mai 1933 ce dessin qui exprime sa sympathie pour les artistes du cinéma (« pas en vogue en ce moment »), comme il avait accompagné l’effervescence artistique et intellectuelle de la république de Weimar.

5 décembre 2011

Monoprix 40-45


Sur le site de Monoprix, une chronologie raconte son histoire. Les dates de 1940 et 1945 retiennent l’attention.

1940 - « La construction du réseau Monoprix se poursuit. Chaque année, de nombreux magasins ouvrent leurs portes portant le nombre total de points de vente à 63. En parallèle, la centrale d'achats créée dès les origines poursuit son développement. »
1945 - « Durement épouvé par la Seconde Guerre mondiale, le réseau Monoprix commence sa renaissance dès 1945. »

Par les termes utilisés, par ses lacunes décelables, par son ellipse, ce résumé historique sibyllin intrigue. Pour 1940, le temps utilisé, le présent de l’indicatif, est particulièrement ambigu. Il ne dit pas si c’est à cette date que la construction du réseau a atteint soixante-trois magasins, ou si ce chiffre fut atteint pendant l’Occupation (ou « la Seconde Guerre mondiale » comme il est écrit).
Vérification faite, ce survol historique recouvre une réalité autrement plus précise — et grave :
Monoprix, comme les Galeries Lafayette, ont été aryanisés.

Max Heilbronn, gendre du fondateur des Galeries Lafayette, qui créa Monoprix en 1932 à Rouen, fut une grande figure de la France libre qu’il rejoignit dès octobre 1940 (le statut des Juifs instauré par Vichy date du 3 octobre). Il s’y illustra dans le sabotage des trains. Arrêté en 1943 par la Gestapo, il fut déporté à Buchenwald. Il survécut.

3 décembre 2011

Autodafé





Dans La Logique des bûchers*, consacré à l’Inquisition, Nathan Wachtel écrit dans sa préface : « L’autodafé n’a pas seulement pour but de répandre la crainte par le spectacle grandiloquent du châtiment ; c’est en même temps un rite d’élimination du mal, d’éradication de l’infection et de l’infamie juives, de purge collective autant physique que spirituelle (…)** ». Dans sa conclusion (De la banalité du mal), tout en préservant comme Hannah Arendt la distinction fondamentale de la « Solution finale » avec tout autre événement de l’histoire, il met en « parallèle, d’une part, la trajectoire du judaïsme ibérique du XVe au XVIIe siècle et, d’autre part, la destinée du judaïsme allemand (voire européen) à l’époque contemporaine*** ».

En 1935, Elias Canetti publie Auto-da-fé, son seul roman.
« Le voilà debout, plongé dans la contemplation de Rome. Il voit des membres qui se débattent. La puanteur de la chair brûlée emplit l’air. Comme les humains sont stupides ! Il oublie son ressentiment, un simple bond et ils seraient sauvés.
Soudain — il ne sait comment cela s’est produit — les hommes se changent en livres. Il pousse un cri déchirant et se rue dans la direction du feu sans prendre le temps de réfléchir. Il court, halète, se couvre d’injures, bondit dans les flammes, allonge la main et se trouve prisonnier de corps humains qui l’implorent. Son ancienne angoisse l’étreint, la voix de Dieu le délivre, il s’échappe et contemple ensuite du même endroit le même spectacle. À quatre reprise, il se laisse duper. La rapidité des événements augmente chaque fois. Il sait qu’il est baigné de sueur. Il aspire secrètement à l’instant de répit qui lui est accordé entre deux paroxysmes. À la quatrième trêve, le Jugement dernier le rattrape. Des charrois gigantesques, hauts comme des maisons, hauts comme des montagnes, hauts comme le ciel, arrivent des deux directions, de dix, de vingt, de toutes parts et s’approchent de l’autel dévorateur. La voix puissante et destructrice raille : “Maintenant, ce sont des livres !” Kien pousse un rugissement et s’éveille. »

* éditions du Seuil, 2009
** p. 28
*** p. 252

ps : Rendons la trouvaille de cet article dIrène Chevreuse dans L’Illustration au feuilleton de Raphaël Meltz, SUBURBS, autour du fort d’Aubervilliers, publié dans le Tigre n°012
ps 2 : La source venant sans doute de Lionel Richard : http://books.google.fr/books?id=BNE3DBprTMwC&pg=PA211&lpg=PA211&dq=%22irène+chevreuse%22&source=bl&ots=jjgp1KdgMd&sig=R61mOWhSQ0bEmnbLAu01peURhi8&hl=fr&sa=X&ei=x7csU9e9OIPP0AXX8YDwCw&ved=0CC0Q6AEwAA#v=onepage&q=%22irène%20chevreuse%22&f=false


Le nazisme et la culture, Lionel Richard