30 novembre 2012

Le Fred Astaire du football





La coupe du monde de football 1934, la deuxième après celle en Uruguay, eut lieu en Italie fasciste qui profita pleinement de l’aubaine pour sa propagande, surtout qu’elle l’emporta contre la Tchécoslovaquie (2-1), la Tchécoslovaquie ayant battu l’Allemagne en demi-finale (3-1), à Rome, alors que la Nazionale battait l’Autriche dans l’autre demi-finale (1-0), l’Autriche où figurait le “Mozart du football” Matthias Sindelar, son avant-centre, qui s’y blessa, facilitant la tâche des azzuri qui n’avaient pas le droit de perdre devant Mussolini.
À lire les descriptions de son physique et de son jeu, autant que Mozart, il fut le Fred Astaire du football.

D’origine tchèque, Matěj Šindelář se suicida en 1939 avec sa compagne juive italienne Camilla Castagnola, à moins qu’il fût assassiné par la Gestapo.






Soma Morgenstern, dans Errance en France, évoque Matthias Sindelar en décrivant un match de football improvisé au stade de Buffalo, en mai 1940, entre internés, où […] l’Autriche, renforcée par deux puissants Sarrois, battait lAllemagne par 6 buts à 0 ! Comme autrefois à Vienne, au Prater, au stade, en 1931. Oh, comme cétait beau ! Vous rappelez-vous encore comment dès le départ, Sindelar, « l’homme de papier », dribble deux Allemands avec une feinte de corps, et d’un coup horizontal passe le ballon à Gschweidl, le « conseiller aulique », et le « conseiller » le prolonge vers Zischek qui avec présence desprit tire du pied gauche dans le coin droit des buts ? Trente secondes après le commencement du match : 1 à 0, et onze Piefkes stupéfaits ! Cest Schall qui a inscrit le deuxième but. Non, et Vogl, le Vogl ! Cétait léquipe miracle de Vienne. Hugo Meisl l’a créée. Il est mort. Sindelar l’a dirigée. Après lAnschluss, il s’est suicidé. C’était l’âme de l’équipe miracle, le Sindi. Le football aussi à une âme. Mais c’était l’âme viennoise. Sous le talon de la botte prussienne, elle a éclaté, l’âme footballeuse de Sindi. Quel était son prénom ? Matthias. Il était serrurier de son métier, « l’homme de papier ». Honneur à sa mémoire. 
(Ajouté le 26 décembre 2016, traduction Nicole Casanova, à deux modifications footballistiques près)

26 novembre 2012

La couleur du Simplicus



Black and White, Antonín Pelc, Simplicus, 1935



Pokrok (Progrès), Antonín Pelc, Simplicus, 1934
« Dříve nas vyhazovali na dlažbu, dnes bohudíky, už máme asfalt »
(Avant on nous jetait sur le trottoir, aujourd'hui, par bonheur, nous avons de l’asphalte)


http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/11/le-simplicissimus.html
http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/11/a-prague-avec-antonin-pelc.html

24 novembre 2012

À Prague avec Adolf Hoffmeister



Adolf Hoffmeister, Simplicus n°4, 1934
L’ordonnance : “Nous vous annonçons humblement le nouveau magazine, le Simplicus. ”
Le censeur : “Attendez un peu, je dois tailler mon crayon !”



Adolf Hoffmeister est né à Prague en 1902 dans une famille aisée propriétaire d’un grand hôtel. Il voyage à Paris en 1922 où il côtoie le groupe surréaliste, se lie à Soupault et à Tzara, rencontre Le Corbusier, et s’engage alors dans la peinture tout en finissant ses études de droit une fois rentré à Prague. Mais en 1925, son doctorat en poche, il débute dans la caricature, tant de portrait (Cocteau, Maiakovski, Pasternak, Kafka, Seifert, Gorki, Aragon, Joyce…) que politique, particulièrement après l’arrivée de Hitler au pouvoir, dans le Simplicus (http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/11/le-simplicissimus.html). Il émigre en 1939 vers la France où il est tenu pour un agent de Moscou suite au pacte germano-soviétique, mais parvient à gagner le Maroc, puis le Portugal, Cuba et enfin les États-Unis où, avec Antonín Pelc (http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/11/a-prague-avec-antonin-pelc.html)il expose au musée d’art moderne de New York. 

Adolf Hoffmeister et Antonín Pelc entourant le président Beneš en exil 
lors du vernissage de leur exposition au Musée d’art moderne de New York, en 1943

En 1945, il est désigné pour représenter la Tchécoslovaquie à l’UNESCO qui siège à Paris, puis devient ambassadeur de son pays en France après le coup de force communiste en 1948, jusqu’au moment du procès Slansky, en 1951, où il est rappelé à Prague et ramené désormais à la seule fonction de professeur à l’école supérieure de cinéma et des arts graphiques (VSUM-PRUM). Dans cette deuxième partie de sa vie, s’il n’abandonne pas la caricature, il privilégie cependant le collage et l’illustration. Hoffmeister meurt en 1973, de retour dans son pays, après avoir quitté la Tchécoslovaquie pour revenir en France quand les troupes du Pacte de Varsovie achevèrent le printemps de Prague, pour y être enseignant à l’université de Paris VIII, à Vincennes.



L’art dans le IIIe Reich, Adolf Hoffmeister, Simplicus n°1, 1934



Le IIIe Reich en avril : on ne voit plus la famille Goebbels à aucune festivité
car elle se consacre entièrement à des tâches spirituelles
, Adolf Hoffmeister, Simplicus n°10, 1934



Pablo Picasso peignant Guernica, Adolf Hoffmeister, 1937


Le bienfaiteur : “Bientôt je vous donnerai du gaz pour rien”, Adolf Hoffmeister, Simplicus n°34, 1934 



23 novembre 2012

Deux fois Heine



Th. Th. Heine sur le sofa, Olaf Gulbransson, 1904,
dessiné pour le catalogue des éditions Langen




Th. Th. Heine, Olaf Gulbransson, vers 1933



19 novembre 2012

Le numéro du 12 février 1933


Le numéro du 12 février 1933 est le dernier avant que le Simplicissimus ne bascule et se soumette. À la même date, Thomas Mann se voyait sommé de renoncer à une conférence sur Wagner : http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/09/thomas-mann-ecrit-olaf-gulbransson.html





Cette couverture fut comprise comme une provocation, prétexte aussi pour se débarrasser du Juif Heine — cruauté d’autant plus grande qu’il se sentait absolument allemand bien avant que d’être juif, comme Max Liebermann, Alfred Döblin et combien d’autres « Juifs assimilés ». Le procès en sorcellerie au sein même de la rédaction, Eduard Thöny et Erich Schilling en tête, l’éjectera, même si une interdiction d’un an seulement fut alors prononcée alors que c'était bien Dachau qui lui était promis. http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/10/dernier-printemps.html
Jean-Michel Palmier souligne que pour continuer de travailler, tous les artistes devaient s’affilier aux chambres de culture, ici la chambre d’arts plastiques du Reich, ou celle pour la presse, instaurées par le Dr. Goebbels. Notons également que les dessinateurs satiriques se compromirent dans des proportions infiniment plus grandes que les écrivains et, dans une moindre mesure, que toutes les autres catégories d’artistes, comme si le clivage au sein de cette population vis-à-vis du nazisme ne s’était prononcé qu’en fonction de la « race » de chacun — ce qui ne laisse d’interroger.
Deux mois plus tard Heine prendra le chemin de la Tchécoslovaquie dont la grande générosité envers les proscrits fut particulièrement remarquable.

Le 2 mai 1933, de Prague, hébergé chez le Dr. Alfred Mayer, Heine écrit à Franz Schoenberner, lui aussi exclu du Simplicissimus dont il était le rédacteur en chef, et contraint à l’exil en franchissant les Alpes le 19 mars pour gagner la Suisse en alpiniste, puis en France où à la déclaration de guerre en 1939 il fut détenu au camp des Milles près d’Aix-en-Provence, et enfin aux États-Unis, via Marseille et Lisbonne, grâce à Victor Fry et l’Ermergency Rescue Committee. Cette correspondance dura jusqu’en 1947.

« Nur kurz die Nachricht, daß es mir endlich gelungen ist, hierher zu fliehen. Wie geht es Ihnen ? haben Sie Pläne ? […] Ich schreibe Ihnen bald, hoffe aber bald auf ein Lebenszeichen von Ihnen. Zuletzt war ich fast 3 Wochen in Berlin verborgen. 
Herzliche Grüße
immer Ihr Th. Th. Heine »*

* Pour faire bref, la nouvelle est que j’ai finalement réussi à m’échapper jusqu’ici. Comment allez-vous ? Vous avez des projets ? […] Je vous écris bientôt, mais j’espère aussi bientôt un signe de vie de votre part. En dernier lieu, j’ai été caché près de 3 semaines à Berlin.
Je vous salue de tout cœur, 
votre fidèle Th. Th. Heine





Erich Schilling, thuriféraire du nazisme, veilla de près à l’application de ses préceptes, jusqu’à son suicide en 1945 à l’arrivée des troupes américaines dans sa petite ville bavaroise.




Karl Arnold, bien que certaines biographies bienveillantes ou mal informées écrivent qu’il fut interdit de travail pendant six mois, sa collaboration ne cessa jamais et ce régulièrement jusqu’en 1943 quand il tomba malade (http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2013/10/le-reniement-darnold.html), dirigeant même le Simplicissimus dans les premiers mois de 1934, accompagnant la politique officielle, versant lui aussi dans la caricature antisémite, et réservant son esprit caustique aux adversaires du IIIe Reich, par exemple en transposant la manière dont fut couverte la Première Guerre mondiale par le Simplicissimus, les bellicistes étant toujours français ou anglais (les Soviétiques tirant les ficelles), et pour cela il usa d’un dessin de plus en plus gracieux, d’une absolue perfection formelle.




Quel symbole aussi que soit publié in extremis une critique élogieuse de Solal d’Albert Cohen, dans cette fameuse colonne de critique littéraire commandée par le chien emblème de la revue dessiné en 1895 par Th. Th. Heine. N’oublions pas que le Simplissicimus était une revue littéraire, fondée par l’éditeur Albert Langen qui publia tout ou presque de ce qui compta dans la littérature allemande et mondiale du moment.
Alexander Moritz Frey émigra en Autriche en 1933, puis réussit en 1938 à passer en Suisse, pourtant si peu accueillante.





Marcel Frischmann, Juif galicien, s’exila en Angleterre en passant par la Suisse. http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/search/label/Marcel%20Frischmann




Olaf Gulbransson ne montra aucun état d’âme en accompagnant allègrement la nouvelle ligne de la revue à laquelle il collaborait depuis trente ans.




Wilhelm Schulz devint une nazi bon teint (à moins qu’il le fût déjà), comme beaucoup sous couvert d’anticommunisme, le Simplicissimus n’ayant jamais eu la moindre sympathie pour cette idéologie.

17 novembre 2012

À Prague avec Antonín Pelc



Antonín Pelc, Le manifeste tchèque du surréalisme, 1935

Antonín Pelc est né le 16 janvier 1895 à Lišany u Rakovníka en Tchécoslovaquie, dessinateur, peintre et illustrateur, il débute en 1919 dans le šibeničky après des études aux Beaux-Arts de Prague de 1913 à 1916 et sa démobilisation, pour devenir dans les années vingt un caricaturiste politique très en vue, dans le Simplicus http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/11/le-simplicissimus.html, le Rude Pravo communiste, Lidové NovinyKulturní tvorbaLiterární noviny… jusqu’à publier dans le New York Times. Très impliqué dans le combat antifasciste, il dut s’exiler en 1939 mais, après un séjour à la Santé, il fut interné en France au camp de Damigny, gagne la Maroc en 1940, où il est de nouveau arrêté et interné, puis la Martinique, avant de réussir à atteindre les États-Unis, où il expose en 1943 au musée d’art moderne de New York en compagnie de son ami Adolf Hoffmeister avec lequel il avait partagé son périple, avant de revenir dans son pays à la Libération pour y devenir professeur, d’abord à l’École des arts appliqués puis à l’Académie des Beaux-Arts de Prague, se consacrant principalement à la peinture tout en soutenant le régime communiste dont il reçut tous les honneurs comme celui d’“Artiste national” en 1963. 
Il meurt en 1967, alors que débute le “Printemps de Prague”.



Antonín Pelc, Národní divadlo o sobě, 1935-36


Antonín Pelc, Autoří podpisují svá díla1935-36


Antonín Pelc, Divadla se připravují, 1935-36


Antonín Pelc, Šetřte plynem!, 1935-36


Antonín Pelc, Volební týden výtvarného umění, 1935-36

15 novembre 2012

Le Simplic[issim]us



Antonín Pelc,  Simplicus n°1,
où l’on distingue Karl Arnold, Olaf Gulbransson, Wilhelm Schulz et Eduard Thöny.

Dans l’article ci-dessous, David Alon ne recoupe pas complètement Jean-Michel Palmier qui écrivait que le Simplicus n’avait vécu guère plus d’un an. http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/11/simplicissimus-en-exil.html

« Avec la montée des idéologies, la caricature tchèque se politise dans les années 30. En janvier 1934, un groupe d’artistes allemands exilés de l’Allemagne nazie sort à Prague le premier numéro de Simplicus, hebdomadaire satirique. Composé également de nombreux artistes tchèques, Simplicus devient un pôle majeur de lutte contre le danger national-socialiste. Ses armes : l’humour, l’ironie et la satire. On compte, parmi ses signatures, les caricaturistes Antonín Pelc et Adolf Hoffmeister.

Le thème du corps, qui revient souvent au long des publications, est d’abord un prétexte pour s’éloigner de l'esthétique nazie, basée sur la virilité et la masculinité. Il permet aussi, par l’évocation de relations entre nations et religions différentes, de lutter contre les mythes racistes, si puissants dans les années 30. C’est avec une ironie savoureuse que Frantisek Bidlo donne, dans Simplicus, sa définition du mâle aryen idéal : “blond comme Hitler”,“mince comme Goering”, “bien bâti comme Goebbels” et “masculin comme Röhm”. En 1934, se tient, dans la galerie Manes à Prague, la première exposition internationale de la caricature, où les préoccupations contre la montée du fascisme prédominent.
En 1939, Simplicus change de nom pour devenir Le Simple*. Malgré la guerre et l’occupation allemande, la revue maintient un temps ses activités mais ses auteurs sont pourchassés. Adolf Hoffmeister, qui parvient à échapper à la Gestapo, s’exile aux États-Unis après un bref détour par la prison de la Santé à Paris. Dans le recueil Touriste malgré soi, écrit en 1941, il dessine de féroces dessins contre le système nazi. »


* (sic) probablement le Simpl’, comme le Simplicissimus était familièrement nommé.


14 novembre 2012

Simplicissimus en exil






« [Le Simplicissimus] reparut à Prague en langue allemande et tchèque, dirigé par Heinz Pol, s’efforçant de redonner vie au Simplicissimus de Thomas Th. Heine sous le titre Der wahre Simplicissimus. Th. Th. Heine [qui était réfugié alors en Tchécoslovaquie] désavoua le journal par peur des réactions nazies et menaça d’un procès la rédaction de Prague. Celle-ci reconnut dans un article que Th. Th. Heine n’avait aucun rapport avec le journal. Le premier numéro de Simplicus parut le 25 janvier 1934, raillant le Simplicissimus qui avait fait la paix avec les nazis. Il cessa de paraître le 26 juin 1935, faute de moyens financiers. »

Jean-Michel Palmier, Weimar en exil, note 2, p. 209.

12 novembre 2012

quatre-vingts ans



Henri Puymoret, 1946-47

Henri Puymoret est né le 12 novembre 1932, il y a donc exactement quatre-vingts ans aujourd’hui.


11 novembre 2012

Le culot d’Oskar Maria Graf



Oskar Maria Graf, Georg Schrimpf (1889-1938), 1918

Jean-Michel Palmier, dans son livre Weimar en exil, cite un poème de Brecht qui évoque la figure de « l’auteur bavarois Oskar Maria Graf, dont le nom avait été oublié sur les listes des proscrits [dont les livres furent livrés aux autodafés de 1933], ce qu’il considéra comme une insulte infamante. Aussi écrivit-il à Hitler pour demander que cet oubli qui le déhonorait soit réparé :


Un poète expulsé, l’un des meilleurs, étudiant la liste
des livres brûlés, découvrit avec épouvante que les siens
avaient été oubliés. Il se précipité à son bureau,
La colère lui donnait des ailes, et écrivit dans une lettre aux despotes.

“Brûlez-moi !” — écrivait-il d’une plume rapide — Brûlez-moi !
Ne me faites pas ce coup-là ! Ne me laissez pas de côté !
N’ai-je pas

Toujours relaté la vérité dans mes livres ? Et voilà que
Vous me traitez maintenant comme un menteur ! Je vous l’ordonne :
“Brûlez-moi”. »
Bertolt Brecht, Poèmes IV (L’Arche)


En note de bas de page, Jean-Michel Palmier précise :
« Ni juif ni communiste, [Oskar Maria Graf] avait été curieusement omis sur les “listes noires”. Bien plus, ses ouvrages figuraient sur les “listes blanches” parmi les “bons ouvrages”. Cela montre que les nazis ne les avaient pas lus et s’en tinrent à sa qualité de “bavarois”. L’œuvre recommandée, Wir sind Gefangene…, était une autobiographie de jeunesse, particulièrement politique et virulente, qui avait déjà fait scandale. Cet oubli est d’autant plus curieux que son appartement avait été fouillé par les SA qi lui confisquèrent ses manuscrits. Horrifié à l’idée de passer pour un représentant du “nouvel esprit allemand”, O. M. Graf écrivit cette admirable lettre où il demandait ce qu’il avait fait pour mériter un tel déshonneur. Il demandait que ses livres fussent brûlés, purifiés par les flammes et ne traînassent pas entre les mains sanglantes d’une bande d’assassins. Les nazis répondirent à sa demande en organisant un autodafé spécial pour ses livres, devant l’université de Munich, et il perdit la nationalité allemande dès juin 1933. À de nombreuses reprises, O. M. Graf s’illustra par la même insolence. Il n’hésita pas à se présenter au Ier Congrès des écrivains soviétiques en costume bavarois, à la grande joie des enfants ravis de voir ce géant en culotte courte. Quand on lui proposa de rendre visite à Lénine dans son mausolée, il se déclara enchanté de “rendre visite à Blanche-Neige dans son cercueil de verre”. En exil en Amérique, O. M. Graf continua à s’exprimer dans la seule langue qui, par sa beauté, lui semblait mériter de détrôner l’anglais comme langue de communication universelle : le dialecte bavarois. »

Oskar Maria Graf, 1935

Rudolf Schlichter, Oskar Maria Graf, 1927



 Walter Schulz-Matan, Oskar Maria Graf, Jugend, 1927


Oskar Maria Graf fut un auteur régulièrement accueilli dans les pages du Simplicissimus entre 1923 et 1933. Né en Bavière 1894, émigra à New York — il s’obstina à n’y parler que le bavarois — où il mourut en 1984.


O. M. Graf & Eduard Thöny, Simplicissimus, 22 septembre 1924




9 novembre 2012

Rendez-vous manqué à New York


« Un beau jour de 1933, Clifton Fadiman me dit : “George, pourquoi ne collaborais-tu pas au New Yorker ?”
“Volontiers, répondis-je. Sure…”
À l’époque, Fadiman n’était pas encore un pape de la littérature et une vedette de la radio — il travaillait comme critique littéraire au New Yorker, magazine illustré. Il me promit de parler de moi à qui de droit*. Mes dessins étant tout à fait pour le New Yorker.
Mais il advint ce qu’il advient généralement en pareil cas — je n’en ai plus jamais entendu parler. C’était donc que je n’avais pas ma place au New Yorker. »

George Grosz, Un petit oui et un grand non (éd. Jacqueline Chambon)

* Peut-être Rea Irvin, qui aurait pu considérer Grosz comme trop radical pour le New Yorker. En revanche, osons la conjecture que Karl Arnold y aurait été accueilli avec tous les fastes.


Real Life, George Grosz, Esquire, juin 1937
 http://www.moellerfineart.com/exhibitions/2010-04-20_george-grosz-esq/

Georges Grosz se consola, très modestement cependant, dans Vanity Fair, le Harper’s Bazaar et Esquire (de septembre 1936 à janvier 1939) « une jolie revue pour “College Boys” et autres célibataires », écrit-il, qui accueillait tout de même des auteurs renommés comme John Dos Passos, Francis Scott Fitzgerald, John Steinbeck et même Thomas Mann.

Le seul numéro où George Grosz est crédité en couverture, pour ses débuts,
à côté de la mascotte Esky quElmer Simms Campbell, qui fut son élève, animait chaque mois :
http://plusoumoinstrente.blogspot.fr/2012/08/un-peu-plus-sur-elmer.html


Du Grosz rare d’avant l’Amérique : http://50watts.com/2516122/Weimar-Whiplash-Twenty-One-Book-Covers-by-George-Grosz

6 novembre 2012

La cote de Dada


Après Karl Arnold, au tour de George Grosz de donner un avis sur l’art et son marché.


George Grosz, Simplicissimus, 10 juillet 1932
Appréciation difficile : « Vous savez, madame, aujourd’hui nous devons juger une œuvre d’art juste selon trois points de vue : d’après sa valeur idéale, sa valeur illusoire et sa valeur de saisie !  »



« On n’avait encore jamais rien vu de comparable à cet “art” dada naissant. C’était l’art (et même, la philosophie) de la boîte à ordures. Le chef de cette “école” était une certain Schwitters, de Hanovre, qui collectionnait tout ce qui lui tombait sous la main — clous rouillés, vieux chiffons, brosses à dents sans poils, mégots, rayons de bicyclette, ou encore un morceau de parapluie cassé. Ces objets, il les récupérait dans les dépôts d’ordures et Dieu sait où… Tous les objets dont l’humanité se débarassait parce qu’ils étaient devenus inutilisables, Schwitters les collectionnait. Il disposait soigneusement ses petits tas d’ordures sur de vieilles planches ou des toiles, les collait ou les fixait avec du fil de fer ou de la ficelle, puis il exposait ses œuvres d’“art du déchet” (“Merz”), les mettant éventuellement à la vente. Nombre de critiques, pour ne pas être en reste, ne tarissait pas d’éloges pour cet “art” qui consistait à se payer la tête du public et qu’ils prenaient néanmoins fort au sérieux… Seul l’Allemand moyen, qui, lui, n’entendait rien à l’art, réagissait sainement en disant que les œuvres dada n’était qu’un fatras d’inepties, de camelote et d’ordures — toutes matières dont il était effectivement constitué… »

George Grosz, Un petit oui et un grand non (1946)

4 novembre 2012

L'art selon Karl Arnold (un peu plus tôt)

Reculons un peu dans le temps par rapport à l’épisode précédent, quand Karl Arnold, s’il publie déjà beaucoup dans le Simplicissimus, est bien plus en vue dans le Jugend (fondé quinze ans plus tôt comme support emblématique d’un mouvement artistique), même si l’humour y restait marginal, en contrepoint de l’esprit de sérieux qui gouvernait leur esthétique.


Karl Arnold, Jugend, 1910

Karl Arnold, Jugend, 1910

Karl Arnold, Jugend, 1911

Karl Arnold, Simplicissimus, 1912

Karl Arnold, Jugend, 1913

Karl Arnold, Jugend, 1914

Karl Arnold, Jugend, 1914



2 novembre 2012

L’art selon Karl Arnold


Entre 1914 et 1917, Karl Arnold est en garnison à Lille, sous-officier dans les troupes allemandes qui occupent le nord de la France, comme la Belgique. Ça ne l’empêche pas d’envoyer des dessins au Jugend et au Simplicissimus. Ces années-là voient sa personnalité s’affirmer, où il s’affranchit de l’influence de Lautrec, qu’il vénère, de Pascin et Bruno Paul, en privilégiant un trait raffiné, entretenant cependant une familiarité avec Grosz, son cadet de dix ans, qui se réclame aussi de Bruno Paul (http://brunopaul.blogspot.fr), et comme lui se manifeste comme un des chroniqueurs majeurs de la république de Weimar, l’un ironique (toujours), corrosif (souvent) mais empathique (largement), l’autre plus abrupt, pas aimable, sarcastique, agressif*. « […] croire en la bonté de l’homme. Mais quelque chose en moi s’y refusait. Déjà en ce temps-là, bien qu’étant encore un jeune homme capable de s’exalter pour une prétendue révolution, j’étais trop peu doué pour les douces et nobles vertus de la foi », écrit Grosz dans ses mémoires, Un petit oui et un grand non, où il ne mentionne pas le moindre lien avec son confrère qu’il côtoya dans les pages du Simplicissimus de 1926 à 1932, avant son départ pour les États-Unis. 

« Ces comparaisons ne sont jamais parfaites, je trouve — elles sont jolies pour la démonstration — mais quelqu’un d’autre peut de la même façon démontrer le contraire. » 
Karl Arnold à son frère Max



Karl Arnold, Jugend, 1915 (réalisé en 1913)


Karl Arnold, Jugend, 1916

Karl Arnold, Jugend, 1917 (réalisé probablement des années plus tôt)

Karl Arnold, Jugend, 1917

Karl Arnold, Simplicissimus, 19 mai 1920

Karl Arnold, Jugend, 1922

Karl Arnold, Simplicissimus, 26 mai 1924

Karl Arnold, Simplicissimus, 9 juin 1924


Karl Arnold, Simplicissimus, 29 juin 1925

Karl Arnold, Simplicissimus, 14 décembre 1925
.