Sur la photo, de gauche à droite alignés avec humour (le photographe — serait-ce Jacques, le frère de Léopold ? — savait de toute évidence ce qu’il comptait obtenir) : Léopold Schnerb, son épouse Berthe (née Dreyfus), Amédée Schnerb, Jacques-Marc Schnerb, Andrée Schnerb (née Émerique), Jacques-Marc étant assis entre ses parents. Elle doit dater de 1932 environ.
La « cousine Andrée » faisait partie de la conversation familiale. Nous ne savions pas exactement en quel honneur elle était une cousine. La cousine de notre grand-père Robert, si nous écoutions bien notre mère. Les grands-pères auraient donc aussi des cousins et des cousines. En l’occurence, une cousine par mariage avec son cousin Amédée. Dans le même mystère, il y avait aussi la « cousine Carmen ».
J’ai vu la cousine Andrée une fois, j’avais dix ans, lors de l’escale de Saint-Étienne qui venait après celles de Clermont-Ferrand et de Thiers, ma grand-mère m’ayant engagé comme compagnon de voyage pour rentrer chez elle dans le midi, par anticipation sur les vacances d’été car mon entrée en sixième était déjà dans la poche. Ma collection de Lucky Luke, de Pieds Nickelés et de Bibi Fricotin en a beaucoup profité. Quand je dépouillais les kiosques de gare, ma grand-mère m’encourageait, pas le genre à mégoter.
Nous sommes arrivés en voiture, convoyés par nos hôtes de Thiers, je crois. En 203 peut-être bien, ou alors une 403. Je me rappelle la pénombre, les gros et vénérables fauteuils en cuir, un vague ennui et les tramways sillonnant la ville, les rails, les câbles — mais, la cousine Andrée, je ne la vois pas.
Émerique, c’était le nom de ces gens qui vendaient des beaux vêtements à Épernay, pas très loin de chez nous, où nous allions une fois par an pour renouveler notre garde-robe. Du vrai chic assurément. Il nous semblait bien que notre mère avait un lien avec ces Émerique, mais lequel ? Je me souviens surtout d’un très beau manteau trois-quarts bleu marine, rouge écarlate au revers, à l’épais tissu feutré, qu’une fermeture Éclair à boucle finissait d’embellir et de lui donner une dimension amusante. Mon frère et moi avions dû revenir d’Épernay particulièrement fiers, dans l’espoir d’un hiver précoce. Ces manteaux furent-ils des exceptions ? Les souvenirs de ma sœur aînée sont moins idylliques, souvent nous ne voulions plus porter ces belles affaires, le regret de s’être laissé faire succédant vite à un consensus poli.
Léopold et son épouse Berthe sont morts gazés le 23 novembre 1943 à Auschwitz, comme Jacques son frère, et leur petit-fils Jacques-Marc (parti de Drancy dans le même convoi), le 21 janvier 1944.
Amédée est mort en 1940 sur le front.
Juste après la guerre, la cousine Andrée adopta Rosa Josefowicz dont les parents, Juifs polonais, et sa jeune sœur, étaient morts à Auschwitz.
Merci à Myriam, petite-nièce de la cousine Andrée.
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